Chapitre 1

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    La neige était tombée drue cet hiver-là. Comme l'hiver précédent, comme celui d'avant. Le paysage disparaissait sous une épaisse couverture blanche, plus haute que le plus haut des hommes. Et d'année en année, le temps des beaux jours se faisait plus court. Trois ou quatre mois d'accalmie, au cœur desquels la moiteur des étés d'autrefois n'était qu'un souvenir. La pluie remplaçait simplement la neige, et le soleil se faisait si rare que lorsqu'un rayon dardait au travers des épais nuages, les paysans s'arrêtaient de travailler, ébahis, pour contempler le dieu de lumière en lequel ils avaient presque cessé de croire. De toute façon, quel travail leur restait-il encore ? Les récoltes, chaque année étaient plus maigres, les bêtes mourraient de faim, et les hommes commençaient à mourir aussi. Triste temps qui semblait ne jamais devoir connaître de fin. Les voyageurs, les colporteurs, ceux qui allaient et venaient d'une contrée à l'autre, traversant parfois la mer en quête de marchandises et d'histoires à conter le soir au coin des foyers, prétendaient que c'était la fumée d'un lointain volcan qui avait obscurci le ciel, des années auparavant. Que la colère de la terre avait été telle que des langues de feu avaient englouti les plus belles villes du Sud. Les gens d'ici haussaient les épaules à l'entente de ces contes : la fumée, si épaisse soit-elle, finissait toujours par se dissiper. Quand les rebelles avaient incendié la grande ville, elle avait brûlé des jours et des jours, des semaines même. Mais la fumée n'était pas restée. Elle n'avait pas envahi le pays entier. Les gens d'ici n'avaient jamais vu de volcan. Quand on leur chantait les beautés des villes englouties du sud, de leurs temples dont les fronts autrefois tutoyaient le ciel, de leurs ports qui accueillaient les navires par centaines, de leurs jardins luxuriants qui entraient jusque dans les maisons, des fresques colorées qui recouvraient les murs et des citadins aux tenues chamarrées, dont les bourses débordaient d'or comme les jarres de là-bas débordaient de vin, les gens d'ici levaient les yeux aux ciel, et il se trouvait toujours un vieux sage pour déclarer que des hommes qui cherchaient à ce point à ressembler aux dieux n'avaient eu que ce qu'ils méritaient, si toutefois toutes ces élucubrations étaient vraies.

Pour les gens d'ici, il était plus crédible d'imaginer que les dieux étaient courroucés. La cause de leur colère n'avait pas été formellement identifiée, et les mauvaises langues disaient à voix basse que si l'ont ne savait pas au juste ce qui avait engendré une telle punition, c'est peut-être parce que trop d'offenses avaient été commises ces dernières années. On avait petit à petit remplacé le culte de certaines divinités par de nouveaux cultes importés de l'étranger par les soldats. On avait détruit certains temples...on avait martelé certains noms...et depuis quelques temps il se murmurait dans les endroits bien informés que les nobles n'adoraient plus qu'un seul dieu. Peu importe d'ailleurs, puisque les rebelles avaient brûlé les temples des nouvelles divinités en même temps que la grande ville. Ainsi pouvait-on désormais être sûrs de s'être mis tous les panthéons à dos, l'ancien comme le nouveau. Peut-être assistait-on à la fin de ce monde ? On avait multiplié les sacrifices et les offrandes sans succès. On n'osait croire que les dieux étaient morts brûlés avec leurs temples, mais si les hivers continuaient ainsi à n'en plus finir, il faudrait bientôt se rendre à l'évidence...

Dieux qu'il faisait froid. Les peaux d'ours et de loups n'y faisaient rien, et le cheval aux sabots épais et velus frissonnait lui-même en s'enfonçant jusqu'aux jarrets dans la neige. C'était pourtant une bête du nord, habitué aux températures les plus rudes. L'effort pourtant conséquent qu'il faisait pour marcher dans la neige ne semblait pas lui procurer suffisamment de chaleur pour continuer. On sentait qu'à chaque pas il ralentissait davantage, comme statufié progressivement par le vent glacial qui soufflait depuis des jours. Sur son dos, la vague silhouette emmitouflée de cuirs et de peaux ne bougeait déjà plus. La mort l'avait-elle déjà saisie ? Non, elle se tenait toujours bien droite, les rênes en main, imposant au cheval un cap précis dans le désert immaculé. L'animal tirait derrière lui un traîneau qui glissait sans peine sur la neige, malgré ce quel'on devinait être un lourd chargement. Aucun bruit n'accompagnait la lente marche de la monture et de son chargement, et dans ce paysage gelé, rien ne semblait pouvoir servir de repère pour s'orienter. L'espace était vide, l'air ne portait aucun son si ce n'était les longs sifflements du vent. Pourtant le cheval continuait d'avancer.

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⏰ Last updated: Nov 23, 2018 ⏰

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