Chapitre 2

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Siana

La maison est dans un état pitoyable. Pourrie – c'est le premier mot qui me traverse l'esprit.

Le portail s'ouvre dans un couinement affreux et je remonte l'allée aux dalles déchaussées. Mon cœur bat un peu plus fort à mesure que j'approche de la porte.

D'autres souvenirs m'attendent ici. Pas des plus glorieux, mais rien dans cette ville ne l'est. Je me ronge un ongle sur le perron, sous l'avancée des toits, et lorgne en direction de la petite balançoire un peu bancale qui trône au bout de la terrasse. Des toiles d'araignées se sont emmêlées autour de la chaîne. Sur la maison, la peinture du bois s'écaille, les vitres des fenêtres sont sales et fissurées.

La serrure grince lorsque je tourne la clé et je reste deux bonnes minutes sur le seuil, face au couloir sombre.

Mon cœur bat si fort maintenant que je sens mon pouls cogner derrière mes tempes. Des frissons galopent le long de mon échine. Je ferme un instant les paupières mais, quand je les rouvre, les images sont toujours là. Obsédantes, bruyantes. Elles font mal.

C'est au pied de cet escalier qu'il m'a giflée. Il souffrait tellement qu'il m'a giflée. Fort. La trace de sa main était restée un moment et aujourd'hui encore la brûlure ne m'a pas quittée, comme si j'en portais l'empreinte à jamais.

Je ferme de nouveau les yeux. J'ai du mal à respirer. Je prends une grande inspiration, relâche lentement mes poumons puis, sans ouvrir les paupières, accomplis un pas dans le couloir.

Une effroyable odeur de renfermé me prend aussitôt à la gorge. Ça pue. Sans réfléchir, je jette mon sac au sol et me dirige droit vers le salon pour ouvrir toutes les fenêtres. Rester pragmatique me paraît un bon moyen de ne pas devenir folle.

Les meubles sont toujours là, en partie recouverts de draps gris ou jaune pisse. Personne n'est venu les voler. En même temps, qui serait assez cinglé pour piquer du mobilier bon marché ou de récupération ? Il n'y a pas d'argent ici. Pas d'antiquités cachées. Pas de bijoux.

Le vieux tapis couvert de poussière assourdit mes pas. Je traverse la cuisine et me dirige vers le sous-sol pour rallumer le courant.

Lorsque j'enclenche le disjoncteur, le compteur se remet à tourner dans un grognement. Alléluia, la lumière jaillit du plafonnier. Je ne passerai pas la nuit dans le noir le plus total et j'aurai même droit à une douche chaude...

Douche que je vais devoir récurer à fond avant de pouvoir y poser un doigt de pied. Le carrelage est si crasseux qu'on ne le distingue même plus. Je ne vois pas non plus mon reflet dans le miroir couvert de toiles d'araignées et de saleté.

Je pousse un soupir en allant chercher dans ma voiture les produits d'entretien que j'avais prévus. J'enlève mon blazer et, en débardeur, les cheveux relevés sur la nuque, je m'attaque au ménage.

Pas question de passer la nuit dans ce nid à bestioles.

Trois heures plus tard : salle de bains, cuisine et salon sont enfin habitables. Je ferai les autres pièces plus tard, ces trois-là étant suffisantes pour quelques jours. Je n'ai pas besoin des chambres. Je n'ai d'ailleurs même pas le courage d'aller dans la mienne. Le canapé fera tout aussi bien l'affaire.

En revanche, je n'ai rien à manger ni à boire pour ce soir. Quelle idiote ! J'aurais dû penser à prendre une bouteille de gin pour estomper le goût pâteux qui demeure accroché à mon palais depuis que je suis arrivée dans ce bled.

Je sors de l'argent de mon sac à main et quitte la maison sans prendre la peine de verrouiller la porte. Il n'y a rien à faucher ici et de toute façon, les voleurs sont comme les corbeaux : ils passent sans se retourner sur la misère.

Hot Blood - Paru chez BMROù les histoires vivent. Découvrez maintenant