Le rat des ongles

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« Si tu continues à te ronger les ongles, le rat des ongles va entendre ton grignotage ! » C'est ce que me disait ma mère à chaque fois que mes incisives cisaillaient le bout de mes doigts.

« Si tu continues à cracher tes ongles partout, le rat des ongles va sentir leur odeur et viendra dans notre maison ! » C'est ce que me disait ma mère pour stopper cette mauvaise habitude qui s'était peu à peu installée au cours de mon enfance.

Heureusement, mon père était là pour me rassurer et me dire que le rat des ongles n'existait pas, que ma mère faisait tout ça pour m'empêcher de me ronger les ongles et qu'elle ne me ferait jamais de mal. Ce qui était le cas.

« Si tu continues à cracher tes ongles dans ta chambre, l'horrible rat des ongles grignotera tes doigts dans ton sommeil puis fera un nid sous ton lit ! » C'est ce que me disait ma mère pour que je cesse cette automutilation.

« Si tu continues à manger tes ongles dans ta chambre, l'horrible rat des ongles fera un trou dans ton ventre et ira les chercher au fond de tes entrailles ! » C'est ce que me disait ma mère pendant ma préadolescence.

J'étais onychophage, ce qui signifiait que je ne pouvais pas m'empêcher de ronger mes ongles. C'est venu progressivement, au fur et à mesure que je grandissais et découvrais les horreurs de ce monde et le caractère agaçant, enfin énervant de ma mère.

Oui, ma mère était ma cause principale d'anxiété. J'étais un enfant paisible, calme, son exact opposé. Ma mère était une tornade, une pelote de nerfs qui n'arrêtait pas d'astiquer, de nettoyer ce qui était déjà propre, de s'occuper de rendre parfaite une maison déjà parfaite. Mon père voyageait souvent aux quatre coins de la France, mais quand il était là, il me rassurait et m'affirmait que le rat des ongles était et restera éternellement une invention de ma mère. Il semblait désolé à chaque fois qu'il me disait ça, sa voix se troublait, car il aimait énormément sa femme.

Comme ses refrains sur le rat d'ongles s'usaient comme la corde d'une poulie et me faisait aussi peur qu'une tasse à café, ma mère a mis en pratique d'autres techniques : morceau de sparadraps au bout des doigts, gants noués autour du poignet avec un serre-lien après l'école et pendant les vacances, menaces multiples comme me couper les doigts ou m'arracher les ongles. Bien sûr, elle parlait plus qu'elle n'agissait réellement et hormis les gants et les sparadraps, je n'ai subi aucuns sévices. De toute façon, mon père n'aurait pas accepté que maman me fasse du mal. Et puis un soir, le rat des ongles est entré dans ma chambre.

Le rat des onglesWhere stories live. Discover now