2-Lya

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Roan se trouvait à moins d'un mètre de moi et me faisait face. En temps normal, je n'aurais eu qu'à tendre la main pour réduire cette courte distance entre nous, pour lui effleurer tendrement la joue. Mais voilà, la situation sortait de l'ordinaire. Mon cousin était si proche et, cependant, tellement inaccessible, situé de l'autre côté d'une épaisse vitre blindée. Et non seulement il m'était impossible de le toucher, mais je ne pouvais pas non plus communiquer avec lui sans l'intermédiaire d'un téléphone. C'était la deuxième fois en quinze jours que je lui rendais visite au parloir de la prison et je commençais à m'habituer à lui parler à travers le combiné.

— Je suis hyper nerveuse, si tu savais, lui confiai-je, dans un petit rire gêné, après une demi-heure de discussion à bâtons rompus. Je prends mon nouveau poste dans très exactement dix jours, devant des enfants de cinq ans. Je ne sais si je serais à la hauteur. C'est une telle responsabilité...

— Si j'étais à ta place, je ne m'inquiéterais pas trop. Je suis persuadé que tu vas t'en sortir haut la main et que tous les bambins vont t'adorer ! Tu es douce, attentive et compréhensive. Ce métier te conviendra à merveille.

— Merci de me rassurer sur mes capacités.

C'était le monde à l'envers ! Ce serait plutôt à moi de le soutenir dans des conditions aussi graves et non le contraire...

Tout à coup, j'eus honte de mon attitude mesquine. Je baissai le visage et me mordis la lèvre pour ne pas éclater en sanglots amers. Mes angoisses de future institutrice ou les tracas de mon quotidien, que je débitais avec entrain depuis mon arrivée, me paraissaient si dérisoires en comparaison de sa situation peu enviable ! Roan se trouvait dans une prison de haute sécurité, en détention provisoire, et attendait d'être jugé pour homicide volontaire... Même si j'avais engagé un avocat spécialisé dans les affaires pénales pour le défendre, mon cousin encourait la perpétuité ou, au mieux, d'écoper de quarante années d'emprisonnement. Le rôle de l'homme de loi consistait non pas à l'acquitter, mais de réduire considérablement sa peine, en invoquant les circonstances atténuantes.

— Lya, regarde-moi.

Je tressaillis au son de sa voix douce et clignai des yeux pour refouler les larmes. En vain. Elles continuaient de brouiller ma vision.

— Tu ne dois surtout pas t'empêcher de vivre à cause de moi, me tança-t-il, gentiment. Ne te sens jamais coupable d'être heureuse. Tu ne pouvais pas deviner...

— Oh, Roan, si tu as une recette miracle pour m'enlever toute cette culpabilité alors que tu es derrière les barreaux, c'est le moment de me la donner ? me lamentai-je, d'une voix chevrotante. S'il y a une personne au monde qui te connaît par cœur, c'est bien moi ! Et je m'en veux terriblement parce que si j'avais été moins égoïste et que j'avais pris au sérieux ton profond mal-être chaque fois qu'on évoquait ta mère, j'aurais pu t'éviter d'en arriver à de telles extrémités...

Roan poussa un long soupir.

— Crois-moi, tu n'as rien à te reprocher. Tout est ma faute. Oui, j'aurais dû me confier à toi, parce que tu aurais su me protéger d'une façon ou d'une autre, mais tu avais tes propres problèmes à surmonter. Je ne voulais pas décharger mes ennuis sur toi. Puis le temps a passé et tout t'avouer m'a paru tout simplement insurmontable. Je ne devrais pas l'excuser, mais ma mère n'avait plus que moi... Je n'aurais pas dû... J'avais honte de moi, de ma faiblesse...

Lorsqu'il se rendit compte que son discours devenait incohérent, il se tut brusquement. Son visage se ferma et je me serais volontiers giflée pour l'avoir replongé dans son passé dégradant. Pourquoi ne pas enterrer une bonne fois pour toutes cette histoire entre nous ? Il serait toujours temps pendant le procès de remuer à nouveau cette boue ! Je me tendis sur ma chaise et lui lançai un regard désolé.

— Pardonne-moi.

Il me sourit tristement.

— Je te répète que tu n'as pas à t'en vouloir, Lya. Je vais devoir vivre avec cette culpabilité ancrée au fond de moi et je suis le seul responsable de ce gâchis. Je ne veux pas qu'une autre personne ait à supporter mes actes. Il faut que tu sois forte pour deux parce que j'ai besoin que tu viennes me raconter ces « petits riens » pour égayer mon existence. Moi, par contre, je risque de n'avoir pas d'aventures palpitantes à te relater entre ses quatre murs...

Il fit une grimace éloquente et j'éclatai de rire à travers mes larmes.

— Je t'aime, Roan !

— Moi aussi, je t'aime.

Nos yeux bleus si semblables et embués par l'émotion se nouèrent pendant une éternité. Nous nous étions évadés à des années-lumière de cette prison par la pensée. Personne ne pourrait nous enlever nos souvenirs. Nous repensions à notre jeunesse joyeuse ensemble, avant les drames successifs, à nos parties de cache-cache qui se finissaient dans les fous rires. Avec l'aide de mon père, nous avions même construit une cabane dans un arbre, d'où nous avions pu admirer les étoiles lors des nuits sans nuages...

Que n'aurais-je pas donné pour revenir au temps de notre insouciance ? Avec toute la tendresse dont j'étais capable, je levai ma main libre et apposai ma paume à plat contre la paroi vitrée. Roan vint coller ses doigts exactement sur les miens. Je fixai nos mains jointes. Révoltée, j'eus envie de hurler contre le destin qui avait tant malmené mon doux cousin.

[...]

Extrait - Captive  (Dark romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant