Si tel est ton souhait - 1

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– ... la multiplication des déchets spatiaux est donc de plus en plus préoccupante. Voici une vue d'artiste de ce qui entoure notre planète.

L'écran de la télévision grésilla un instant puis l'image de la Terre, prisonnière d'une couche de petits points blancs, apparut. Les yeux d'enfant d'Alioth se teintèrent de tristesse. Il se leva de table tandis que le présentateur du journal continuait :

– Et maintenant notre rubrique des métiers disparus. Aujourd'hui nous parlerons des cosmonautes.

Le petit garçon se dirigea vers la porte d'entrée. Sa mère l'interpella :

– Alioth, tu ne veux pas de dessert ?

Il secoua la tête et posa sa main sur la poignée.

– Tu es sûr ?

– Laisse-le tranquille, intervint gentiment le père. Tu sais bien où il va.

La mère approuva puis reporta son attention sur la télé qui fonctionnait tant bien que mal ce soir-là. Le garçon referma la porte derrière lui. Il respira l'air nocturne qu'il aimait tant puis s'élança en courant sur la colline qui surplombait leur petite maison. Comme tous les soirs il s'allongea sur l'herbe tendre, au contact le plus proche de sa Terre, et se plongea dans le ciel étoilé, fidèle spectateur du ballet de l'univers.

Alioth n'avait que six ans. Depuis qu'il était en âge de comprendre le sens des mots, il entendait parler de l'état désolant de cette planète où il était né. Entre pollution, désastres écologiques ou autres catastrophes plus ou moins naturelles qu'il ne comprenait d'ailleurs pas toujours bien, sa tête était déjà remplie d'images sombres qui renvoyaient à un avenir incertain. Un soir de printemps, son père l'avait emmené voir les étoiles sur cette même colline. Il lui avait raconté tout un tas de choses sur ces petits points lumineux qui brillaient, dont le plus important : à chaque étoile filante qu'il voyait, il avait le droit de formuler un vœu qui serait à coup sûr réalisé. Pour conclure cette soirée, son père lui avait révélé qu'Alioth était le nom d'une étoile qu'il lui avait même montré.

Depuis lors, sans jamais faillir, Alioth regagnait cette place sacrée. Nuit après nuit, il commençait par saluer l'étoile la plus brillante de la constellation de la grande ourse, son homonyme céleste, puis il attendait, il attendait... Jamais il ne partait avant que son regard ne croise le passage d'une étoile filante. Parfois il ne restait que quelques minutes avant de voir une pluie divine s'abattre sur les mots de son souhait, parfois il patientait des heures avant de voir une météore venue furtivement le saluer.

Alioth était perdu dans l'étreinte protectrice de la voie lactée. Après trente minutes à peine, une longue traînée illumina le ciel. Une des plus belles qu'il n'ait jamais observé. En hommage à sa splendeur, il s'appliqua à formuler son souhait qui était toujours le même :

– Je voudrais que tous ensemble on prenne soin de la Terre, qu'on arrête de la casser. Je voudrais qu'on retire tous les objets qu'on a jeté là-haut, je voudrais que le monde soit meilleur.

Sa mission réalisée, il bondit sur ses jambes et s'apprêta à repartir en courant en direction de son lit mais quelque chose se passait. L'étoile filante ne tomba pas dans le néant, au lieu de ça elle se mit à grossir, encore et encore, comme si elle se dirigeait vers lui.

Alioth resta debout, planté face à ce phénomène qui n'était encore jamais arrivé. La boule blanche qui caractérisait la météore vola jusqu'à la colline. Elle s'arrêta à quelques mètres dans les airs face au garçon. Sa course terminée, les contours de sa silhouette apparurent. Elle s'avéra être une magnifique jeune fille au yeux de lumière et aux cheveux d'argent.

– J'entends ton souhait, Alioth, dit-elle d'une voix aussi douce qu'un voile satiné.C'est ce soir la centième fois que tu le prononces.

Le petit garçon resta bouche bée. L'étoile descendit alors un peu plus et lui tendit une main.

– Viens avec moi.

Sa robe fantomatique voletait avec grâce dans le halo de sa lumière. Sans oser rien dire, Alioth mêla ses doigts à ceux de la fille. La gravité le libéra de son attraction. Il s'éleva vers les cieux étoilés en compagnie de l'astre venu réaliser son souhait. Ensemble ils traversèrent la voie lactée, fonçant de plus en plus vite, jusqu'à se retrouver pris dans un couloir inondé de lumière.

Soudain, le couloir disparut et leur course s'arrêta. Le silence de l'espace les accueillit avec bienveillance. Ils flottaient au-dessus d'une planète semblable à la Terre. Seulement, aucun satellite ou déchet artificiel ne tournait autour d'elle.

– Les vœux sont toujours réalisés, commença la météore. Ceci est ton monde, en meilleur. Comme toi, beaucoup de personnes ont espéré le changement, ont espéré vivre l'harmonie avec l'infini, ont espéré que l'Homme laisse sa place à la nature. Toutes les personnes qui y croyaient avec foi ont été emmenées dans cet endroit ; ici où il n'était pas trop tard pour la Terre. Ils ont donné tout leur amour pour prendre soin de cette planète et créer le monde parfait qu'ils désiraient.

– Mais ce n'est pas Ma Terre, remarqua le garçon.

– En quelque sorte, si.

L'étoile filante resserra sa main sur celle de l'enfant et l'emmena plus près de ce monde, elle lui montra les plus beaux paysages dont il recelait, l'entente parfaite dans laquelle les humains évoluaient.

– Ici le nombre limite de terriens est fixé à cinq cents millions, il ne le dépasse jamais. Aux quatre coins du globe, tous discutent la même langue, suivent des lois justes. La nature est respectée. La conquête spatiale a été abandonnée, une planète c'est assez, en prendre soin est la priorité. Aujourd'hui, je t'accorde ton souhait Alioth.Tu peux rester vivre ici, dans ce monde rêvé.

– Mes parents seront là ? demanda le garçon.

Le halo qui entourait la jeune fille brilla un peu plus fortement.

– Non. Tu créeras d'autres liens, avec d'autres personnes.

– Je veux rester avec ceux que j'aime, rechigna Alioth. Papa, Maman, ma famille, mes amis...

L'étoile parut un peu déçue. Elle le regarda néanmoins avec douceur et déclara :

– Si tel est ton souhait.

Elle serra un peu plus encore sa main sur la sienne, cela lui fit mal. D'un coup, le couloir de lumière réapparut autour d'eux, ils traversèrent à nouveau l'univers à une vitesse folle. Alioth atterrit brutalement sur le sol dur. Le choc fut violent. Tout disparut autour de lui, sa conscience sombra dans les ténèbres et tout devint noir.


La lumière aveuglante d'une chambre d'hôpital lui brûla les yeux. Alioth referma instantanément ses paupières mais ce bref signe de vie n'avait échappé à personne.

– Tu es réveillé ! s'exclama sa mère en le serrant dans ses bras.

Le père se leva aussi,soulagé.

– On est où ? s'inquiéta le garçon.

– À l'hôpital, tu es resté dans le coma pendant trois jours. On a eu si peur...

– Le coma ?

– Ça veut dire que tu es resté endormi, précisa le père. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Alioth ne comprenait pas bien la situation. La dernière chose dont il se rappelait était de s'être levé de table un soir et d'avoir attrapé ses chaussures pour sortir. Ses yeux se posèrent sur le dessus de sa main droite, à la base de son pouce une grosse cicatrice blanche en forme de larme lui tiraillait encore un peu la peau.

– J'ai quoi là ?

Les parents comprirent alors qu'il ne se souvenait de rien de ce soir-là. Ce soir où ils l'avaient retrouvé inerte sur la colline alors qu'ils se faisaient un sang d'encre de ne pas le voir rentrer. Pris d'émotion, le père serra à son tour son fils sans ses bras.

– Dieu merci, tu n'as rien.


Si tel est ton souhaitWhere stories live. Discover now