PARADIS

01

Le vent froid transperçait l'épaisseur de son manteau avec une déconcertante facilité, si bien qu'un frisson lui arracha un son fort peu viril. Secouant la tête en vérifiant que personne n'ait pu surprendre cet instant de faiblesse, Guillaume Tranchant reprit son chemin d'un pas nonchalant. Sa terrible gueule de bois lui était passé, bien qu'une note d'amertume restait vissée au fond de sa gorge, lui laissant un arrière goût douteux en bouche. Il avait cependant pu émerger. Après une bonne douche et un lavage intensif de ses jolies petites quenottes, le jeune homme avait décidé d'aller faire un tour près du canal, histoire de se changer les idées. Cela faisait quelques temps que les idées de Gringe n'étaient plus vraiment claires. Il avait de plus en plus de mal à faire le tri dans son esprit où les regrets et les incertitudes se livraient sans cesse à de terribles joutes, le laissant en proie au désespoir dans ses heures sombres. Si le jeune homme avait toujours eu une certaine tendance aux remords divers et à l'angoisse, cette fois-ci il était dans l'incapacité totale d'expliquer pourquoi son esprit le condamnait à ce triste état de cafard. Sa vie n'avait pourtant pas changé, aucun changement n'aurait pu lui apporter de stresse puisque depuis des années rien ne semblait bouger dans sa vie. Il était bloqué. C'est d'ailleurs certainement cette sensation d'impuissance face à sa vie et à l'incertitude de son avenir qui rendait le jeune homme si aigri et le poussait à évacuer sa frustration chez ces douces jeunes femmes. Gringe avait toujours eu besoin de combler sa frustration, de se sentir soutenu et cela lui semblait un bon compromis.

Cependant, au fond de lui, il n'était plus vraiment certain que ce soit la meilleure façon de se changer les idées. Cette activité commençait à faire un sacré trou dans son budget, du moins dans celui de son colocataire et ce-dernier commençait à s'en plaindre régulièrement ce qui débouchait toujours sur une dispute. Son regard se posa sur ces J9 de l'amour qui l'attendaient à seulement quelques mètres. Il ne pouvait pas faire demi-tour alors qu'il était si proche du but.. C'était stupide d'avoir bravé le froid pour repartir au point de départ sans avoir atteint le nirvana. Enfin, atteindre le nirvana relève ici plus de l'expression que de la réalité, notez le bien. En effet, il faut savoir qu'une fois à l'intérieur, l'expérience n'était pas des plus sensationnelles et il n'avait pas encore eu la chance de tomber sur une déesse aux doigts de fée, pourtant il y venait souvent. Gringe restait devant sa cible les bras ballants, réfléchissant. A quoi ? Bonne question. Lui-même ne semblait pas réellement savoir ce qui perturbait son esprit à cet instant. Secouant la tête pour chasser ses idées, il fit un pas en avant avant de reculer rapidement. Le jeune homme basané se mordit la lèvre, était-il devenu dépendant de cette activité ? Avait-il réellement besoin de ça pour se sentir vivant ? Était-il désespéré à ce point ? A quel moment il était devenu ce mec médiocre qui se tapent des réfugiées pour s'évader ?

Alors qu'il tentait de répondre à ces questions, Guillaume fut interrompu par le bruit d'un scooter qui venait de passer près de lui. Un homme en descendit lourdement et retira son casque. Son crane chauve paraissait étonnement gras et son visage porcin ne participait absolument pas à le rendre plus séduisant. Le regard de l'homme au bonnet tomba vers la bedaine qu'arborait l'inconnu et il fut immédiatement pris d'un sentiment de peur inexpliquée. Les pas lourds de l'homme corpulent résonnaient sur le béton alors que Gringe l'observait pénétrer à l'intérieur de ces doux foyer de fortune. La vision de ce corps épais et crasseux avait effrayé le jeune homme pour une seule raison, il avait peur de finir ainsi plus tard. Il sentit un relent de nausée refaire surface. Il ne pouvait pas passer après cet homme là, les effluves nauséabondes seraient certainement beaucoup trop puissantes. Soupirant, le rappeur tourna les talons en enfouissant ses mains dans ses poches. Il resterait frustrait aujourd'hui.

Ses pensées se dirigèrent vers son colocataire à qui il venait encore d'emprunter de l'argent pour aller se dégourdir la chenille. Il savait pertinemment que malgré sa gentillesse, Aurélien jugeait clairement son besoin étrange de passer sa frustration et son mépris de lui-même auprès de ces femmes peu farouches. Pourtant, le jeune homme continuait de le laisser prendre son argent. Aurélien était un ami en or, et lui, que faisait-il pour le remercier ? Pas grand chose, si ce n'est partager de bonnes tranches de rigolade et un appartement. Un nouveau soupire quitta ses lèvres, comme à l'habitude. Le rappeur décida alors d'aller acheter un pack de bière et de quoi manger au lieu de rentrer les mains vides. Fier de son idée, il laissa un léger rictus de fierté se dessiner au coin de ses lèvres. Il savait pertinemment que cette action n'effacerait rien, mais au moins le jeune homme d'Alençon serait touché par l'attention et c'était toujours ça de pris.