La lettre

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À Gérardmer, le 1er septembre 1915

Ma très chère Marie,

Il s'est passé beaucoup d'événements depuis ma mobilisation. Les combats sont finis pour moi mais j'y reviendrai plus tard. Je vais d'abord te parler des plus pires nouvelles.

Premièrement, la guerre est loin d'être terminée. Alors que nous sommes partis la fleur au fusil, chantonnant la Marseillaise dans les rues et sûrs de la défaite allemande , j'ai l'impression que nous étions pas préparés pour cette guerre : nous n'avons pas de casques, j'ai vu plein de mes camarades se prendre une balle à la tempe et en mourir . Nous sommes également extrêmement visibles avec notre pantalon rouge et il est facile pour nos ennemis de nous viser à distance. Sur les mille soldats français du départ nous ne sommes plus que cent sans compter les renforts qui arrivent des deux côtés(allemands et français). Il y a eu plein de moments où je perdais complètement l'espoir puis je me souvenais de toi le jour de mon départ chantant pour moi l'hymne national et le courage me revenait.

Deuxièmement, les satanés Boches n'en finissent pas avec leurs obus. Le paysage plat a laissé place à des tonnes et des tonnes de cratères, le sol autrefois verdoyant et magnifique qui offrait un point vu formidable sur les plaines d'Alsace a été transformé en un sol noirci dégageant une forte odeur de décomposition. La terre est chargée de cadavres qui attirent les rats et les insectes. Il y a des grosses mouches bleues dégoûtantes et malgré ça j'avait quand même habité ici dans des tranchées de fortune. Les Allemands eux nous narguent avec leurs structures en pierres. J'espère que les suivants montreront avec quel bois se chauffent les français !

Pour continuer avec les Allemands ,j'ai entendu dire à l'hôpital de campagne que ceux-ci ont utilisé un gaz toxique sur nous et qu'il y a eu des centaines de morts .

Bien que je ne les porte pas spécialement dans mon cœur , je n'arrive pas à croire qu'une telle chose est possible chez des êtres humains. Utiliser un gaz toxique sur les Français, c'est comme si on utilisait un désherbant sur des mauvaises herbes . En d'autre termes, ils ne prennent même pas la peine de nous affronter et nous éliminent le plus rapidement possible.

Ma chérie, te souviens-tu de Charles, notre facteur ? Et bien, il est en piteux état. Les médecins appellent ça l'obusite, une maladie nerveuse. Il souffre de vomissements de mouvements incontrôlés et Charles ne cesse de crier « Arrêtez les obus ! Arrêtez les obus ! »

Quant à moi chérie, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle à t'annoncer : Comme je le devine tu me demandes toujours la bonne en premier. Je vais donc te dire que je rentre bientôt mais en revanche sans ma main gauche. Des balles allemandes m'ont transpercé la main gauche au niveau de mon poignet. Les infirmiers craignant la gangrène gazeuse ont dû me l'amputer et j'ai été transféré dans un hôpital de campagne à Gérardmer où je suis toujours . Avant mon transfert, mes officiers sont venus me voir et m'ont dit que mon service était terminé et que je pouvais après les soins, rentrer chez moi. Je suis si heureux, tu m'as beaucoup manqué là-bas et même si j'ai perdu ma main je pourrais te revoir. Je dois encore rester quelques jours à l'hôpital. Et il a pleins d'autres choses dont j'aurais dû te parler mais à partir d'aujourd'hui, je ne risque plus de disparaître à cause de la guerre.

Bon baisers

Ton mari qui tient à toi, Pierre.

J'espère que cette lettre vous a  satisfait.  N'hésitez pas à commenter

[Fiction] lettre d'un poilu au lingeWhere stories live. Discover now