Chapitre 3. Apparition.

5.7K 510 199
                                    

Je n'avais pas aussi bien dormi depuis longtemps. Depuis l'agression, en fait. Était-ce parce que je sentais que ces lieux pouvaient me protéger des mauvais rêves ou de moi-même, ou parce que j'étais très fatigué après la route ? Mon grand-père m'avait incité la veille au soir à me reposer autant que j'en avais besoin, en précisant qu'il viendrait me chercher le midi, .

Je me levai bien plus facilement qu'au Texas, où je pouvais rester des heures à me demander si j'allais sortir de mon lit. Je choisis un jean et un t-shirt propres avant de prendre une douche. Je me trouvais bien au point de voir une petite lueur derrière l'immense falaise de granit noir érigée entre le monde et moi. Une lumière fragile, ténue, que le moindre souffle pouvait éteindre, mais bel et bien présente. Je la crus plus forte qu'elle n'était. Tandis que l'eau ruisselait sur mon corps, que j'en ressentais la chaleur et le réconfort, j'osai baisser les yeux sur mon torse, mon abdomen. Au Texas, je ne pouvais plus accomplir ce geste. Je n'approchais même plus la main de mon pénis parce que j'aurais aperçu, plus haut ...

Un haut-le-cœur me saisit à la vue de ce qu'on m'avait fait le jour de l'agression, cette stigmatisation de ce que j'étais, cette marque à jamais dans ma chair. Avec laquelle je devais vivre. Comment oublier, comment passer outre ce qui existe sur vous, malgré vous ? Mon estomac se retourna et je vomis.

Pour me remettre, j'attendis mon grand-père dehors au grand air, les yeux rivés sur l'époustouflant panorama offert par l'océan, orné de ce ponton, sous le ciel d'un bleu pur. Le voisinage était calme. Une jeune femme en jogging rose pâle sortit de chez elle et me salua. Après une brève hésitation, je levai la main à mon tour. Me démarquer en l'ignorant, alors qu'elle devait bien connaître Lachlan et bien s'entendre avec lui au vu de son geste amical, était une mauvaise idée.

Mon grand-père arriva, au volant de son propre pick-up blanc. Il me sourit, j'ouvris la portière côté passager pour me hisser sur le siège. Je passai les mains sur mon jean et mon t-shirt avec nervosité.

— Tu as bien dormi ? s'enquit Lachlan, affable, en me balayant de ses yeux bleu-vert.

— Oui. Le studio est sympa, soufflai-je.

— Ravi de l'entendre. Tu es un peu pâle, fit-il remarquer.

— C'est rien, éludai-je. On y va ?

— On y va, répéta-t-il sans insister et en démarrant. J'ai pris des sandwichs au pastrami, ça te convient ?

— Oui, j'aime bien.

— Nous les mangerons au magasin. À propos des repas, tu les partageras tous avec moi, c'est une condition non négociable, décréta mon grand-père d'une voix toujours douce mais ferme. Je ne veux pas que tu rumines seul là-haut. Tu réserveras ton frigo pour les en-cas, les boissons et ce que tu achèteras si tu reçois quelqu'un.

— OK, dis-je simplement.

J'évitai de rajouter que je ne me voyais pas recevoir qui que ce soit, n'ayant jamais eu un grand nombre d'amis et n'imaginant pas m'en faire. Je n'avais pas non plus le courage de préciser que je savais qu'il prenait cette décision pour mon bien, tout en me sentant restreint dans ma liberté.

— Tu vas te contenter d'observer la boutique, aujourd'hui, continua-t-il. N'hésite pas à poser des questions, à Hailey ou à moi. Hailey Young est mon employée, c'est une chouette fille, tu verras. Nous irons doucement pour te former. Comme il y a moins de touristes, tu ne te sentiras pas submergé. Si tu te trouves mal à l'aise et que tu étouffes, essaie de prévenir l'un de nous deux et sors prendre l'air. Je n'ai rien dit à Hailey, précisa-t-il, elle sait juste que tu es sujet à des crises d'angoisse, donc elle comprendra et fera en sorte de te faciliter les choses.

Le choix que je n'ai pas eu, Roman édité, 5 chapitres disponibles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant