Chapitre 1 -- Marc

345 58 147
                                    

— Vous auriez pu aller en prison, vous vous en rendez compte?

Au bout d'un autre dix minutes à répéter les mêmes arguments, le client au bout du fil comprit qu'il n'aurait pas le dernier mot et raccrocha, furieux d'avoir écopé d'une peine de travaux communautaires à purger à la bibliothèque municipale au lieu des six mois de prison prescrits par la Défense.

— Sale petit con, pesta Marc en lançant presque son cellulaire sur son bureau.

Laissant retomber sa tête entre ses bras, il profita de cet instant de répit pour souffler un peu. Dieu qu'il avait faim... Il gérait des clients depuis son réveil et il n'avait dans le corps qu'une micro tasse de café dégoûtant et un croissant. S'il avait un peu de chance, il pourrait aller chercher son lunch vite fait avant que...

La sonnerie de son téléphone le fit jurer avec couleur et entrain. Jetant un œil sur l'afficheur, il grommela. Bien sûr, le client avait appelé sa mère à la rescousse...

— Oui, Madame Dumont? J'allais justement vous appeler. Je suis enchanté de vous dire que votre fils n'ira pas en prison pour cette fois. Le juge a accepté l'offre de travaux communautaires.

Oh. Le client n'avait pas annoncé la nouvelle à sa mère, qui roucoula des remerciements à l'oreille du "meilleur avocat du monde".

À d'autres. À tous les coups, elle l'appelait pour l'engueuler, à la base. Cette femme était plus enragée que le Cerbère quand il était question de son fils adoré. Coupable ou pas, à ses yeux, il était innocent.

— Oui, tout le plaisir était pour moi, répondit-il à ses minauderies.

Rien n'était plus faux. Pourtant il s'efforçait toujours de paraître ravi d'avoir démerdé de jeunes délinquants qui mériteraient plus qu'une simple tape sur les doigts. C'était son boulot, après tout.

Marc faisait bien son travail : il trouvait toujours le moyen d'éviter les peines trop graves à ses clients (la prison, généralement) et de plaire aux juges, qui regimbaient à l'idée d'accorder une absolution, même conditionnelle.

D'un même coup, il faisait gagner tout le monde, et augmentait son taux de victoires.

Mais bon. L'ingratitude demeurait un fléau dans son domaine. Les clients comme ce petit sous-dealer de merde se rendaient rarement compte de ce à quoi ils avaient échappé, trop centrés sur le fait qu'ils étaient punis, point.

Comme si le fait d'être privé de dessert pouvait être pire que de recevoir un coup de ceinture...

Après l'avoir renseignée sur les heures de présence de la secrétaire pour le paiement, il raccrocha sans délicatesse (en appuyant si fort sur l'écran qu'il faillit en échapper l'appareil). Parfois il s'imaginait acheter l'un de ces vieux téléphones à ligne terrestre juste pour évacuer sa frustration en raccrochant le combiné brutalement. S'il le brisait, il lui en coûterait une cinquantaine de dollars, pas cinq cent comme ces téléphones intelligents...

Enfin. Le prochain appel irait direct sur sa boîte vocale tant qu'il n'aurait pas mangé. Il devenait facilement irritable quand il avait l'estomac vide, il avait donc passé la matinée à retenir les fauves. Il abandonna son téléphone sur lebureau.

À son arrivée dans la petite salle servant à la fois de vestiaire commun et de cuisinette, Marc s'arrêta net.

Génial. Sur les deux notaires ayant participé à la constitution du cabinet, il devait dîner avec lui.

Jacques Constant.

Avec un prénom comme le sien, il était facile de s'imaginer un quadragénaire (voire quinquagénaire) bedonnant au cheveu fin ou inexistant avec des lunettes de lecture sur le bout de son nez pointu.

Amours et charcuteriesWhere stories live. Discover now