Chapitre 1-1: La Taverne des Trois-cornes

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C'est devant la taverne qu'une roue de charrette s'arrêta. Une paire de bottes atterrit droit dans une flaque. Cela faisait trois jours qu'il avait plu presque sans interruption, rendant la Route du Nord et ses différents sentiers difficiles à pratiquer ; la durée du voyage allongée à deux jours.

Exaspéré d'avoir sali ses chausses de cuirs, qu'il avait passé toute la soirée à cirer pour s'occuper, l'homme encapuchonné se dirigea fébrilement et avec rapidité vers l'entrée. Les feux vifs, des deux torches accrochées, illuminaient la façade de la bâtisse. Sur le côté droit, deux débardeurs débarrassaient une charrette de tonnelets et portaient la précieuse cargaison à l'intérieur, par un accès réservé. Sur le pas de la porte, un vieil homme, pipe en bouche et pieds à chien (un bouvier âgé avec des traits malinois saillants) faisait mine de surveiller ; un vague rôle d'intimidation rémunéré d'une demi-pièce la soirée.

L'individu arriva devant l'entrée d'où émanait une atmosphère festive, comme rarement il se souvint en avoir vu. À peine poussa-t-il la porte, que des cris et des rires explosèrent dans tous les sens, résonnant avec tonitruance. La taverne était complètement remplie de joyeux lurons, de drille soûlards, de gueux heureux, et d'autres gens du bas peuple qui manifestaient leurs allégresses en chantant, buvant, parfois dansants ou parlant fort. Tous festoyaient dans la bonne humeur. Au fond un gaillard, à la musculature volumineuse, captivait l'attention d'une douzaine de personnes, en se targuant de mille et une épopées dont il était protagoniste, les revivant à cor et à cri dans un héroïque monologue. Mais, cet étranger n'était pas venu pour faire la fête, sa mission dessinait déjà une ombre à cette grandiose soirée.

Il s'assit au bar devant une femme durement affairée à essuyer des couverts. D'un geste nonchalant, il retira sa capuche. Son visage imberbe, éclairé par une bougie murale, trahissait son jeune âge. La fatigue marquait ses traits, creusant de grosses poches sous ses yeux. Mais surtout, ses regards hurlaient son malaise par de nombreux coups d'œil méfiants, aux aguets, à tout-va et sur le qui-vive.

— I veut boire quequ'chose le voyageur ! commanda la tenancière.

— La spécialité ce sera tout !

Répondit-il d'un ton mal assuré par un choix rapidement ressassé.

— Heureusement qu'ils sont là eux autres, c'est pas avec des gens comme vous que je pourrais ben faire tourner mon bar, bougonna la femme. Une spécialité et que ça saute ! débouche moi ce ptain de fût de bière, cria-t-elle.

Avant de partir en laissant un effluve d'alcool dans son sillage.

Le nouvel arrivant sortit de sa poche une pièce d'argent qu'il posa sur le comptoir. Sans le savoir, depuis son arrivée, un homme caché par un coin d'obscurité l'observait sournoisement, et lentement une retors pensé apparu, illuminant ses yeux d'un éclat vespéral.


Dans l'ombre de l'escalier, seule la lumière de ses grands yeux blanc oïdium était visible, reflétant légèrement le morceau rond argenté qu'il regardait avec convoitise. Et, en un instant, il bondit. Sortant subrepticement et avec surnaturelle rapidité. Traversant toutes les rangées de tables. Se faufilant à travers les fêtards. Tout cela sans déranger quiconque, comme insaisissable. Finalement il vint s'asseoir juste à côté de celui qu'il épiait.

Un léger courant d'air rappela durement au nouveau qu'il était trempé. Tremblotant de froid il tourna sa tête et fut surpris de voir un étrange inconnu sa pièce en main, la regardant avec envie. L'homme vêtu d'une tenue en cuir assombri, qui ne laissait pas un centimètre de peau dépasser, se prolongeant en une capuche et un bandeau qui cachait le bas de son visage, seuls ses yeux transparaissaient. Des yeux imperturbablement fixe et hypnotique. Les quelques mèches de cheveux, qu'on pouvait apercevoir, étaient d'un noir ténèbres et chaotiquement ébouriffées.

— Rendez-moi ça!

Il menaça le voleur, en portant la main sur une petite dague à sa ceinture. Étrangement il ne réagit pas, obsédé par la pièce qu'il tripotait de ses doigts en émettant un drôle de faible bruit, avoisinant le dérangement mental.

— Vous l'aurez voulu, s'énerva-t-il avant de dégainer et attaquer en estoc.

Un choc brutal continuant en un bruit strident détonna. La dague fut déviée avec une telle rapidité et violence qu'il tomba, penaud, sur le sol.

Par terre il récupéra son arme et remarqua qu'elle était ébréchée. L'homme étrange rengaina une lame de poing, avec habileté et technique. Tandis que le garçon, tremblant, fouillait sa mémoire vacante du souvenir de la brutale rencontre. Ce qui s'était passé avait été bien trop rapide pour une perception humaine.

Les personnes encore sobres regardèrent cette scène avec curiosité et déroute, mais l'appel de la chope détourna de nouveau leurs attentions.

— Rendez-la moi, tonna le garçon dont le cri sincère prenait des aigus d'enfant.

Il se redressa sur ses genoux. Puis soudainement, l'inconnu lança un regard prédateur. Et très prestement il s'abaissa à son niveau, face contre face, presque nez et lèvres contre nez et lèvres. La pièce entra dans le champ de vision de l'étranger et de Nosfero, par sa main.

— Tu peux me la donner, demanda Nosfero d'une voix légèrement nasillarde.

— Pardon, répondit-il décontenancer.

— Oui... je sais que je demande ça un peu comme ça, mais j'ai perdu un pari et je dois une pièce d'argent à une saloperie d'archer avant minuit sinon... vous ne voulez pas savoir, expliqua-t-il, tête en l'air en cherchant ses mots.

— Eh bien, je consens à vous la donner si premièrement vous buvez un verre avec moi et deuxièmement vous répondez à mes questions, voyant une possibilité dans cet homme de trouver des informations.

— Très bien, tonna-t-il.

Les Chroniques de Tamaran Tome 1: La Route du NordWhere stories live. Discover now