- Quoi d'neuf, Major ?

- La ferme. Si tu es ici, c'est pour une proposition. Et tu n'es pas en position de négocier, cette fois.

Je croise les bras et m'adosse au mur, sourire aux lèvres.

- Vous piquez ma curiosité.

Il ne réagit pas, insensible à mon impertinence. Son regard perçant est absorbé dans la contemplation de ses vidéos de surveillance.

- Ah ! s'exclame-t-il finalement. Te voilà.

C'est à cet instant précis que je comprends que je suis dans le pétrin. Son impitoyable sourire satisfait, D'une flexion rapide du poignet, Dawkins manipule son écran de verre et projette une image sur le mur derrière lui.

La caméra devait être accrochée de l'angle du couloir car le champ de vision est plutôt large. Dawkins accélère la fréquence : ma silhouette floue apparait au tournant, d'un pas allongé, et chipote le code sur une porte. L'allée d'incarcération.

Je déglutis et ravale mon angoisse. Dawkins parle d'une proposition. Peut-être ne suis-je pas encore condamné à un mois de privation ?

Je fais mine de ne pas être surpris.

- Fait comme un rat, jubila-t-il en joignant les mains, coudes sur table.

- Allons, Major. Un rat, vraiment ? Avez-vous bien observé cette démarche féline avec laquelle j'entre dans cette salle ?

- Une salle prohibée.

- Certes, admets-je.

- Dois-je te rappeler les vingt-sept lunes passées dans mon cachot ?

- Dois-je vous rappeler qu'il est presque minuit ? Venez en aux faits.

D'un geste machinal, il exécute le code de sécurité. Le crachement d'air conditionné dans mon dos indique que la seule sortie est désormais bloquée.

Je reporte toute mon attention à l'homme devant moi. Son costume blanc n'a pas un seul pli, sa cravate aux couleurs métalliques est plus raide qu'une latte de fer et sa peau dégage une infernale odeur de propreté. 
Sauf qu'il est tout sauf propre. Dawkins porte les éclaboussures de chacun de ses meurtres, comme nous tous.

Je le déteste presque autant que le Maréchal. Presque autant que la Louve.

Il s'enfonce dans le dossier de son fauteuil, sans se presser le moins du monde. Bon sang, je n'allais tout de même pas manquer le Gong !

- Je veux que tu remportes le défi lors de la prochaine arène. C'est-à-dire, ce matin.

Mon cerveau mit une seconde avant d'enregistrer.

- Pardon ?

- Il se trouve que je suis au courant de tes petits projets concernant notre nouveau détenu. De la cage 100.

Gavin. L'unique caméra est pourtant située à l'entrée, non pas dans l'allée même des incarcérés ? Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de projets ?

- Bien joué, commenté-je en bâillant.

- Tu ne nies pas ?

- Je ne sais même pas de quoi vous parlez, ricané-je.

Exaspéré, le Major retient clairement un soupir au fond de sa gorge, s'efforçant de rester aussi placide que sa réputation le prétend.

- Faisons comme si tu ne mentais pas. Voici le deal : tu bats la Louve en combat singulier, je libère ton ami.

- Qu'est-ce qui vous fait croire qu'on parle de la même personne ?

- Ça.

Il sélectionne une nouvelle projection et me montre l'intérieur de l'allée d'incarcération. Les dix premières cellules défilent devant nos yeux, image par image. 


Elles sont toutes vides.

Le regard du Major pèse sur moi. Il observe ma réaction, la guette avec une impatience sadique presque palpable. Je ne lui ferai pas ce plaisir, bien que le sens le piège se refermer sur moi.

- Seule la cage 100 est occupée, dit-il en confirmant mes soupçons. Il n'y a donc qu'elle qui puisse t'intéresser.

Je serre les dents, m'efforce de ne pas laisser transparaître une once de mon irritation.

- Où avez-vous envoyé les autres prisonniers ?

- Dans un monde meilleur, je suppose.

- Depuis combien de temps ?

- Tu te fais avoir depuis une semaine, si c'est cela que tu demande, répond-t-il avec un large sourire. Le bruit des respirations que tu percevais sort d'une série de baffles. Mais passons, nous n'avons plus que 5 minutes. Ta décision ?

Son visage est impénétrable mais l'urgence perce dans sa voix. Dawkins n'est visiblement pas aussi à l'aise qu'il le souhaitait paraître avec cette course contre la montre.

- Quoi, là, tout de suite ?

Il acquiesce, jette un regard sur son écran pour vérifier les secondes qui défilent.

- Pourquoi tenez-vous tant à ce que je remporte ce défi ?

- Parce que je suis persuadé que tu en es capable.

Nous nous affrontons du regard. Ses rétines grises sont aussi dures et froides que le marbre qui recouvre le vaste Hall du niveau 0. Je ne peux rien y déceler. Lorsque le Major décide de murer son visage derrière ce masque d'impassibilité, cela veut généralement signifier qu'il n'y plus matière à discussion.

Ambrose avait raison, réalisé-je. Ainsi que Jasper. Ma discrétion est à revoir. Non seulement Dawkins a réussi à me coincer, mais il a également percé à jour mon petit jeu d'imbécile. Pour la première fois depuis quinze ans, je réalise l'avoir peut-être sous-estimé. 
Il faut que je le surveille de plus près.

- Votre parole est tout ce à quoi je peux m'en tenir, arqué-je.

- Ce n'est pas mon problème.

Je prends une fraction de seconde pour analyser la situation. Le défi dont il parle n'est pas le seul danger que je flaire. S'il faut s'inquiéter de quelque chose, c'est des raisons qui ont l'poussés, lui, le chef de sécurité de l'agence, à retenir ma sanction - c'est-à-dire à passer l'éponge sur un énième de mes délits sous le nez du Maréchal. 
Sans compter que Dawkins est prêt à vendre leur dernier détenu pour cette proposition.

- Que deviendra-t-il, une fois relâché ? demandé-je.

- Il obtiendra votre liberté. Des gènes modifiés ainsi qu'une formation.

- Mais Gavin vient de l'extérieur...

- Le détenu n°100 et moi scellerons un petit arrangement. S'il s'avère y être infidèle, il rejoindra ses semblables.

Autrement dit, s'il parle trop, il traverse le Stratocumulus. 

Si le Major consent à prendre un tel risque, ma part du contrat doit avoir une sacrée valeur à ses yeux. Plus que la sienne en a pour moi. 
Pour une raison que j'ignore, Dawkins veut que je remporte ce défi. Ce qui me met, malgré son avertissement, en position de négocier.

- J'ai besoin de temps pour réfléchir, dis-je.

Dawkins haussa un sourcil. Toutefois, il ne peut se permettre de refuser. S'il n'obtient pas ce qu'il veut de cette manière, il devra en trouver une autre. Or il n'a pas l'habitude de se plier en quatre.

- Ta réponse, pour 7h tapantes, tranche-t-il. Rompez.

J'exécute la révérence militaire et sort enfin de ce bureau trop éclairé.

Les Enfants de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant