LES OFFICIERS DE SA MAJESTE

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Ghoujdami et moi allions travailler ensemble durant une longue période. La primauté du grade prévalant cette fois, il allait être le chef du terrain, lui, l'officier du génie placé par la volonté du général Dlimi dans une unité d'infanterie. Après quelques altercations, nous devînmes néanmoins de bons amis.

Un mois plus tard, Paris Match lui consacra sa Une avec le titre ronflant de « renard du désert » que rien dans l'actualité militaire locale ne justifiait. Un nouveau héros était né par la grâce de Dlimi : n'avait pas droit en effet à la couverture de ce magazine qui le voulait...

Je n'en pris pas ombrage car l'homme était plutôt sympathique. Les hommes sur le terrain savaient de toute manière qui menait la barque.

Ultérieurement, il reçut des mains de Dlimi son grade de colonel et quelques décorations lors d'une cérémonie grandiose dans la ville de Smara. Dlimi n'avait rien prévu pour moi, bien que, quelques semaines auparavant, au mois de février 1979, j'aie mis en déroute le Polisario qui venait de lancer une attaque contre le port de El-Ayoune. Cerise sur le gâteau, nous avions fait un prisonnier, le premier soldat du Polisario pris depuis le début de la guerre. Le lendemain, je vis mon « prisonnier » se promener tranquillement à El-Ayoune au volant d'une camionnette militaire. J'ai encore aujourd'hui bien de la peine à comprendre un tel comportement. Pendant toutes ces années, nous n'avons eu pratiquement pas de prisonniers - une petite vingtaine dont je serai amené à reparler - et encore moins de cadavres, comme si nous avions affaire à des zombies. L'ennemi, lui, n'avait pas de telles subtilités. J'ai pu vérifier à plusieurs reprises qu'il agrafait ses morts avec un grappin de boucher pour les entraîner plus loin et les enterrer quant il en avait la possibilité. Parfois, il n'avait pas le temps et il les abandonnait au soleil. La politique marocaine en matière de prisonniers et de morts était, elle, très simple. Dès que la radio du Polisario annonçait ses prises, généralement moins de 48 heures après les combats, les disparus marocains étaient considérés comme prisonniers et leurs familles continuaient à percevoir leurs soldes. En revanche, pour ceux qui étaient morts, la solde était arrêtée le jour même et leurs familles devaient attendre une régularisation qui prenait entre 18 et 24 mois. On peut imaginer les drames que cette bureaucratie inhumaine provoquait ! Quant à nos très rares « prisonniers », maintenant qu'on en avait un, on le libérait ! ! !

Avec le 6° RIM, nous n'avons pratiquement obtenu aucun résultat positif majeur durant toute l'année 1979. Nous continuions à faire du convoyage pour nourrir des garnisons prisonnières ou otages. J'emploie cette expression à dessein puisque la plupart des unités en position à Guelta, Smara, Boukraa et Boudjour étaient confinées dans des tranchées avec ordre de ne pas les quitter. Il fallait donc les ravitailler régulièrement et pour certaines qui n'occupaient qu'une petite surface comme le bataillon de Boujour, il fallait faire la corvée de bois pour qu'ils puissent faire leur cuisine. A mes yeux, c'étaient des prisonniers en armes. En ne permettant pas à ces unités de s'aérer plus loin et de mieux assurer leur défense, on permettait au Polisario de s'approcher en toute tranquillité et enlever le morceau qu'il voulait. Par cet état de choses, l'ennemi occupait plus de terrain que nous sans y être en permanence. C'est de cette manière qu'il a pu amener sur le terrain autant de journalistes qu'il a voulu et certains d'entre eux ont pu assister à des attaques en toute impunité tellement le Polisario était sûr de son fait.

A chaque sortie, Ghoujdami et moi nous nous partagions le travail, l'un accompagnant le convoi civil, l'autre faisant de l'ouverture de route, ce qui permettait au second d'être plus libre en cas de combat.

Au début de 1980, j'ai quitté mon commandement du 4° CMV écoeuré par l'attitude de la hiérarchie à l'encontre de mes hommes et de moi-même, dont le travail n'avait pas été reconnu après l'opération de Boucraa. Quatre autres unités bâties sur le même modèle (le premier CMV, le second CMV, le troisième et le cinquième CMV) avaient disparu après quelques mois d'existence, en raison de nombreuses désertions. A chaque combat, en effet, certains Sahraouis en profitaient pour rejoindre le Polisario avec armes et bagages. En fait, ces unités ont surtout servi à alimenter l'ennemi en personnel frais et en armements. Le 4 ème CMV a tenu aussi longtemps que j'y suis resté et éclatera peu après mon départ. Mes rapports avec mes soldats sahraouis, je le dis sans forfanterie, ont été bons, une fois passée la période d'observation. Nos relations étaient telles qu'ils m'ont vite proposé de faire de la contrebande de thé. Je suis resté en dehors du jeu mais j'ai fermé les yeux sur leurs magouilles. L'ensemble du Sahara était hors taxes. Il l'est toujours et les magouilles continuent. Ils achetaient donc du thé à cinquante dirhams la boîte et la revendaient trois fois plus cher au Maroc même. Les convois de 200 à 250 camions, supposés être vides au départ, étaient ainsi bourrés de produits de contrebande, allant des piles radio au matériel électronique en passant même par des voitures débarquées quelques semaines auparavant des îles Canaries.

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⏰ Last updated: Feb 01, 2010 ⏰

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