Chapitre 1 : Kilian Holmes (Chicago, États-Unis)

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« Death doesn't let you say goodbye. »

J'ai toujours été fascinée par les étoiles. Par leur apparence naine alors qu'elles sont en réalité si immenses, par leur scintillement qui jamais ne s'amenuise, quand bien même leur seule ressource de luminosité est leur propre énergie. Quand je les regarde de mon grand hublot, j'ai l'impression d'assister à une symphonie de lumières. Le ciel en dégorge aujourd'hui, c'est une véritable œuvre d'art, un tableau digne du peintre le plus fin et le plus pointilleux, une panoplie de couleurs, de nuances, de formes et d'illusions. Quand je les regarde, je suis soudain animée par une envie à la fois étrange et intrigante. J'ai envie de nager parmi elles, de toucher leur substance, de les voir de plus près. Je crois que si je devais avoir un rêve à accomplir; ce serait celui-ci. Nager parmi les étoiles, me perdre dans l'infini de l'espace et explorer la grandeur du vide. C'est un bel idéal.

Ma vision se brouille subitement, je ressens comme un pincement au cœur et tout se noircie autour de moi. Je me sens comme dédoublée, comme ici mais également ailleurs. C'est une sensation si extrême, mais également si agréable que j'en suis toute retournée, j'ai l'impression que ma tête est sur le point d'exploser et que mon regard est victime d'un bug système; tantôt cadré sur l'obscurité des cieux, tantôt sur une grande place déserte et silencieuse. Je ferme les yeux rien qu'un instant, soufflant extérieurement, hurlant à l'intérieur et, quand je les rouvre, ce ne sont plus les étoiles qui me surplombent mais une barrière d'immeubles, de gratte-ciels et de bâtiments plus hauts que tout ce que j'avais pu voir. Je suis assise sur un banc, à côté d'un petit garçon, tout jeune, qui me regarde comme si j'étais sa délivrance, une pointe de crainte dans les prunelles. Je me surprends à le regarder également, il a l'air si seul et si triste que sa présence me plonge dans un état second où il m'est possible d'entendre sa plus infime pensée, de ressentir ses émotions les plus cachées.

Mon visage virevolte dans tous les sens, mes yeux se perdent dans l'immensité des lieux et mon souffle s'égare dans les méandres de celui du petit garçon. J'ai l'impression d'être lui et d'être moi, d'être deux personnes à la fois. J'ai l'impression de rêver en étant parfaitement éveillée, d'être dans l'univers d'un des plus grands films de science-fiction. J'ai à la fois chaud et froid, et le mélange de ces deux opposés contracte mon corps qui ne sait plus quoi penser. Un "Où suis-je" s'échappe de mes lèvres, résonnant comme un murmure presque inaudible tandis que le petit garçon relève la tête qu'il avait auparavant baissée, articulant quelques mots :

- Chicago, aux États-Unis.

Mes yeux s'écarquillent d'eux-mêmes, je ne contrôle plus rien, prise par un élan d'hystérie et d'incompréhension. États-Unis. Ça fait écho dans ma tête. Comment était-ce possible ? Comment j'avais pu passer du petit village en Angleterre à l'une des plus grandes villes d'Amérique ?

- Tu es.. une sorte de, d'ange du ciel avec des supers-pouvoirs ?

Il pointe les cieux de son index tandis qu'un petit sourire se loge au coin de mes lèvres. Aussitôt, je hoche la tête, et mes yeux s'en vont d'eux mêmes parcourir le ciel et ses moindres parcelles. Je suis brusquée par l'obscurité qui s'en dégage et par sa perfection; il est d'un bleu foncé immaculé, sans la moindre tâche, sans un seul nuage, sans une seule étoile.

- Oui. Oui, je crois qu'on peut dire ça.

Le visage du petit bonhomme s'illumine et j'entends les battements de son cœur s'accélérer, se perdre dans une sorte de tourbillon d'émotions, de souvenirs, de murmures à peine audibles. Je discerne un visage dans ses pensées, un soupçon d'espoir dans la noirceur de ses idées et dans la douleur de ses songes. Il s'approche de mon oreille, me murmurant quelques syllabes dans la plus intime confidence, comme si, autour, plus rien n'avait d'importance.

- Alors, si tu vois ma maman en haut, tu.. tu pourras lui demander de revenir à la maison ?

Ses prunelles semblent ensevelies par une vague d'humidité, des larmes mélangeant allégresse et souffrance, manque et espérance. Il ajoute sans attendre, d'une naïveté enfantine déconcertante :

- Elle me manque ma maman.

Sa tête tombe lourdement sur mon épaule et je me sens obligée de le prendre dans mes bras. Je l'entoure de mes épaules et pose ma paume de main sur le bas de son crâne, pour le rassurer, lui faire sentir qu'avec moi, là, maintenant, il est en sécurité.

- Tu lui diras, d'accord ?

J'entends sa voix siffler contre le vent, un sanglot s'échapper de ses entrailles, mais je reste immobile, muette, sans savoir quoi dire, sans savoir quoi faire. Alors mon cœur se met à parler de lui-même, parce que je crois qu'en fin de compte, la seule réponse à lui donner est celle qu'il souhaite entendre :

- Je lui dirai si je la vois. C'est promis.

Je le sens instantanément plus apaisé, plus serein. Je crois même qu'un petit sourire s'est dessiné sur son visage, à en juger par les crevasses qui se forment dans ses joues.

- Kilian !

La voix s'élève de nulle part, stridente et apeurée. Un homme plutôt grand déboule en furie devant le garçon, et je devine qu'il s'agit de son père à en juger par leur ressemblance. Il a les yeux en alerte, les pupilles dilatées et sa respiration est saccadée, comme s'il venait de courir à s'époumoner.

- Tu m'as fait peur mon grand, ne refais plus jamais ça, tu m'entends ?

L'enfant hoche la tête et se tourne vers moi, un large sourire ancré sur ses lèvres.

- Aurevoir madame du ciel.

Il me fait un signe avec sa main droite. Son père affiche une mine sceptique, comme si il ne comprenait pas.

- À qui tu parles mon cœur ?

Son regard est tourné vers moi, j'ai même l'impression qu'une ligne relie nos pupilles. Pourtant, il ne me voit pas. Je le vois, mais pas lui. Le visage de Kilian se tourne une nouvelle fois dans ma direction mais je suis engloutie, comme tout à l'heure par une vague d'émotions. Chicago se désintègre tandis que je me trouve de nouveau sur mon lit, les yeux rivés vers le hublot qui dévoile la vastité de la nuit.

Je n'avais aucune idée de ce qu'il venait de se passer. Mais je savais - je sentais - que cette visite ne serait pas la dernière.

Limbic Resonance (FR)Where stories live. Discover now