Chapitre 2

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La journée avait été longue : en me penchant sur ma situation à la même heure la veille, je constatai les progrès effectués. J'allais encore devoir prendre mes marques dans cette maison mais une nouvelle page s'écrivait déjà, un départ imprévu que j'anticipais avec envie. Cette ville était un défi que j'avais hâte de relever. Satisfaite du résultat de ma journée, je listais mon programme pour le lendemain lorsque l'on toqua à ma porte.

- Ils ont dû te vanter mes mérites toute la soirée, alors il est temps que tu me rencontres officiellement : je suis Bastien ! se présenta, non sans humour, le garçon que je compris être le dernier de la bande.

Bastien me dépassait d'une quinzaine de centimètres. Ses cheveux, vaguement bouclés, bataillaient au sommet d'un visage agréable, parfaitement rasé et au regard enfantin. Il s'était appuyé contre l'encadrement de la porte, les mains dans les poches, bien plus détendu face à la nouvelle venue que ses colocataires. Sa boutade me laissa d'abord perplexe, mais je décidai de glisser dans son jeu. S'il voulait passer pour le comique de la maison, qui étais-je pour lui refuser ce privilège ?

- Ah oui, le jardinier, rétorquai-je en souriant, me rappelant comment les autres le persuadaient de tondre la pelouse.

- L'homme à tout faire, on peut le dire. La baraque tient debout uniquement grâce à mes soins !

- Je comprends mieux pourquoi tu crèches au rez-de-chaussée, tu es un peu le gardien ici.

- Le gardien, le concierge, le chaperon... Ca dépend des jours, j'ai beaucoup de casquettes. Alors fais attention à qui tu ramènes en douce. Sinon je marche aussi très bien aux pots de vins !

Nous rîmes en chœur, avant qu'il ne reprenne son sérieux. Sous son pull noir, Bastien semblait musclé : le tissu moula ses bras lorsqu'il les leva pour glisser ses doigts dans ses mèches blondes torsadées.

- Si tu as besoin d'un coup de main... changer une ampoule, percer un mur...

Il avait brusquement changé d'approche, basculant de la position de boute-en-train à celle de coloc serviable. Bastien était-il ce genre de personne lunaire, réfléchissant plus vite que la moyenne et, par corrélation, semblant toujours à contretemps ? Je me représentai son esprit comme un joyeux bric-à-brac où lui seul se repérait et où, occasionnellement, par hasard, il tombait sur une chose de valeur. Cela me fit sourire.

- Je sais manier une perceuse, désolée.

Bastien me lança un regard amusé, son sourire contaminant ses prunelles noisettes. Il m'observa plus longtemps que nécessaire avant de se diriger vers la sortie.

- J'espère que tu te plairas ici, Léah, me glissa-t-il à mi-voix, avant de refermer la porte sur lui.

Ce fut certainement la phrase la plus sincère qu'il m'ait dite jusque là : son vœu resta gravé dans mon esprit, comme un écho à mes peurs.

Le week-end fila à une allure alarmante, me rapprochant du lundi, jour redouté où je commençais les cours. Mes deux précédentes années d'études m'avaient permis d'acquérir une équivalence pour passer directement en deuxième année de fac. Si le principe semblait justifié, j'étais mal à l'aise à la perspective d'atterrir dans un environnement préétabli, où les cercles d'amis s'étaient constitués depuis un an. Si la solitude n'était pour moi ni un concept étranger, ni redouté, je ne souhaitais pas pour autant être volontairement mise à l'écart.

Je n'avais fait que croiser les autres membres de la maisonnée pendant ces deux jours de battement. Comme me l'avait prédit Alix, chacun déambulait à sa guise. La maison vivait au rythme des allers et venus de ses habitants : je m'habituai vite à la vaisselle apparaissant et disparaissant dans l'évier de la cuisine et aux vestes accrochées sur les patères multicolores de l'entrée. L'ambiance était paisible, je me surpris à me sentir rassurée de cette présence constante, des marches qui craquaient et des portes qui étaient manipulées aux divers étages.

La maison des hibouxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant