La mère

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- Pardonnez-moi, mon Père, car j'ai pêché.

Une nappe claire tachetée de cumulus cotonneux couvrait l'étouffante atmosphère française. Depuis les ponts de la ville d'Orléans, on pouvait admirer leur reflet déformé par les courants de la Loire. L'habituelle note de flânerie matinale rythmait les pas même les plus pressés en une ballade traînante et contagieuse. Rituellement, en ces neuf heures et demie battantes, l'agglomération orléanaise quittait peu à peu le brouillard soporifique pour se plonger dans les affaires de l'avant-veille du week-end.

- Qu'avez-vous encore fait, Caroline ?

- Evlyn, mon Père. Je m'appelle Evlyn.

- Ah ! Catherine, Bonté Divine, cela faisait des lustres que vous n'étiez plus venue !

L'épaisseur murale de la cathédrale Sainte-Croix s'était avérée excellente pour isoler la fraîcheur des lieux, du coup les gens prenaient plaisir à venir pseudo prier longuement. L'église n'avait que de profits à en tirer : avec la multiplication des pieux, on comptait celle des bougies allumées, et donc des tintements de pièces sur le fond des urnes métalliques. Quand même, je l'aimais, cet édifice, avec ses grands portails élancés, ses tours ajourées aux sommets en couronne, ses rosaces ciselées et ses arcs-boutants dédoublés munis de gargouilles truculentes ! Dans une vie antérieure, j'ai dû vivre à l'époque du classicisme, tant cette façade magnifiquement décorée m'emballait de sentiments étranges...

- Mon Père, j'ai eu un rapport sexuel non protégé avec mon petit ami.

Et que de problèmes depuis. Voilà, c'était dit. La haine que je cultivais à mon propre égard était vraiment insondable. Je m'étais toujours détestée, moi et mes décisions, moi et mes complexes, moi et mes faiblesses. Parfois, j'avais l'impression de n'être que le fruit de toutes sortes de malheurs, l'impression de porter la poisse, l'impression d'être dans l'incapacité de grandir un jour et d'assumer mes responsabilités d'adulte. A la limite, qu'une grossesse me tombe dessus, ça ne m'aurait qu'à peine étonnée. Pourquoi se priver de la cerise sur le gâteau ? C'était tellement plus cliché. On ne laissait pas les gens à la frontière de la mort, pardi, on les achevait !

Bon, d'accord, il fallait être une cruche pour s'apitoyer sur son propre sort, tout en sachant que certains n'avaient pas le centième de nos jouissances. J'aurais pourtant échangé pas mal de mes possessions contre une santé titanesque et j'étais née avec des poignets incapables de soulever plus de 500 grammes. Je haïssais mes poignets et cette putain d'infection, je haïssais les bandages dont je devais les entourer après chaque réveil. Depuis que j'étais venue au monde, je n'avais pas vécu une semaine sans une visite médicale, pas une journée sans avoir à me goinfrer de pilules en tous genres. Ma mère était morte pendant l'accouchement, mon père essayait en vain de faire de moi quelqu'un qui réussirait sa vie dans le bonheur.

Le prêché accompli, j'étais sortie de la bâtisse. Mon seul bonheur, vous voyez, c'était le type qui venait de se redresser gracieusement pour venir me rejoindre tout sourire. Oh, un rictus d'abruti, d'enfant en bas âge qui se verrait offrir une grosse sucette.

- Tu lui as raconté quoi, au prêtre ?

Celui qui n'aurait pas dû manquer de préservatifs se prénommait Nathaniël. Toujours bien habillé, il n'avait jamais été capable de me dire le métier de son père. Quand parfois sa famille m'invitait à dîner, il s'avérait absent pour tout un tas de raisons plus biscornues les unes que les autres. Une fois, je me souviens avoir débarqué chez lui à l'improviste, suite à une fugue. Le père tenait un mug fumant dans ses paumes de main, dos contre le frigo, le regard fatigué mais l'air vif. « Enchanté de faire enfin ta connaissance, Evlyn. », m'avait-il dit d'une voix des plus calmes.

De mes yeuxWhere stories live. Discover now