Cauchemar dans les profondeurs

16 2 1
                                    


Je repris douloureusement connaissance. Je ne pouvais pas bouger car j'étais ligoté par des lianes. Je jetai un œil autour de moi.

Je me trouvais dans une grande caverne que je reconnus aux parois et au plafond comme celle dont j'avais eu un aperçu avant de m'évanouir. La salle était éclairée par la faible lumière de champignons luminescents qui donnaient aux murs une coloration d'un vert maladif. La lueur que j'avais devinée d'en haut venait d'une ouverture dans la paroi à quelques mètres de moi, sa source était apparemment un feu de camp, la lumière débouchant dans la salle où j'étais s'agitant follement en créant des ombres tordues.

Étudiant la composition de la salle d'une trentaine de mètres de diamètre, je vis que la végétation se mêlait à la pierre et semblait prendre le dessus, dans des quantités qui me semblaient anormales au vu de l'absence de lumière du jour. Un petit lac remplissait le côté opposé de l'endroit où j'étais allongé et en me redressant, sa couleur noire me fit comprendre qu'il était très profond car l'eau semblait très propre et nette mais on ne voyait pas le fond. Une rampe avait été grossièrement aménagée et permettait de remonter jusqu'au passage devant lequel j'avais perdu connaissance.

Des bestioles, insectes et reptiles, s'affairaient au sol et sur les murs, ainsi que dans l'eau, si j'en croyais sa surface ridée. Aucune n'avait de comportement agressif, mais leur nombre et leur taille augmentaient mon malaise.

L'odeur de putréfaction était très forte et me retournait l'estomac. J'avais l'impression d'avoir été anesthésié et je me sentais faible, en particulier au niveau de mon omoplate gauche. Les liens qui me maintenaient étaient assez lâches et je parvins à les desserrer en gigotant.

Alourdi, je tentai de me relever mais échouai plusieurs fois. Des bruits inquiétants venaient de la salle d'à côté, des râles et marmonnements qui semblaient humains. À demi emmêlé et pas encore réveillé, je me traînai jusqu'à l'embrasure de la salle suivante.

Ce que j'y vis me terrifie toujours et je peine encore à trouver les mots pour décrire l'horreur qui se présenta à mes yeux.

Un feu tremblotant éclairait le théâtre macabre qui me marqua à vie. Les murs et le sol de cette salle étaient une mosaïque de végétaux, champignons, reptiles et insectes en quantité plus nombreuse que dans la salle où je m'étais réveillé. Mais il y avait un élément supplémentaire : des humains.

Où plutôt ce qu'il en restait...

Cinq corps d'hommes et de femmes étaient en état de décomposition plus ou moins avancée.

Ils étaient nus, mais leur peau était recouverte de mousse, de lianes et de bêtes. C'était comme s'ils avaient fusionné avec la faune et la flore.

Des lambeaux de chair ayant été retirés, des vers, larves et autres insectes s'infiltraient dans leur corps, s'y installaient, se nourrissaient et y pondaient leurs œufs.

Ils étaient attachés par les poignets au-dessus de leur têtes et pendaient vers l'avant, comme s'ils étaient morts. Mais ce n'était pas le cas, leur poitrine se soulevait, ils respiraient encore, par quelque abominable miracle biologique.

L'horreur monta d'un cran quand je reconnus Mary dans le corps le moins abîmé.

Elle saignait encore et les bêtes qui la recouvraient aspiraient son sang et sa force vitale. Elles entraient par toutes les ouvertures possibles, en ouvrant de nouvelles quand les orifices étaient remplis. Elle avait les paupières ouvertes mais ses yeux étaient voilés, vides et sans expression.

Je vomis devant ces horribles visions.

En relevant la tête vers le carnage, je m'aperçus que ce que j'avais pris pour un amas de lianes et de mousse bougeait.

Malgré la chaleur, un frisson me parcourut quand je vis deux yeux d'un vert trop clair me fixer et des lèvres dessiner un sourire dépourvu de dents.

C'était un autre corps qui semblaient avoir subi la même transformation que les cinq autres et l'avait terminée. Les maigres bouts de chair visibles laissaient deviner un corps de femme âgée et voûtée, mais l'humain était enseveli sous la végétation et transpirait le venin.

C'était certainement ce que devenait un corps quand l'alchimie macabre que subissaient les cinq autres corps était terminée.

La chose m'avait repéré et avançait vers moi en émettant des sons dérangeants, comme si elle riait tout en suffoquant.

Heureusement pour moi, elle était lente. Je m'enfuyais vers la rampe qui, comme je l'avais deviné, me ramenait vers la grotte aux peintures grotesques. L'agitation que je causais énervait les bêtes de la salle qui frétillèrent et se lancèrent à ma poursuite.

Arrivé devant le passage, je me retournai vers le bas. La chose me regardait d'un air gourmand et me cria d'une voix rauque des mots que je ne compris pas mais que j'entends toujours dans mes cauchemars.

Puis, elle se tourna vers le lac et prononça une nouvelle phrase incompréhensible, comme si elle s'adressait à quelqu'un au fond de l'eau.

Elle attendit une réponse.

Celle-ci vint sous la forme d'un murmure malveillant qui résonnait dans la caverne à en faire trembler les murs.

Là encore, je ne connaissais pas ce langage, mais les syllabes dures et imprononçables m'évoquèrent la peur, la décomposition et le meurtre sauvage.

La surface du lac en contrebas s'agitait. J'eus un aperçu de ce qui vivait en-dessous et je crois que c'est à cet instant que j'ai totalement perdu la raison.

Une forme gigantesque remontait vers la surface, un être titanesque de cauchemar se dessinait au fond du lac, grossissant alors qu'il s'approchait et prenant des dimensions qu'aucun être vivant n'avait jamais eues sur Terre.

Sous le choc, je n'avais même pas senti que je me faisais piquer et mordre par les bêtes qui convergeaient vers moi. Mon instinct reprit le dessus par rapport à cette terrifiante fascination du contenu de cette caverne et je me glissai dans le passage, tandis que d'autres serpents enfonçaient leurs dents dans ma peau qu'ils arrachaient, me promettant un destin semblable aux corps que je laissais derrière moi.

Je ressortis dans la grotte aux dessins qui avaient certainement été faits par cette chose dans un culte à la terrible entité qui vivait en-dessous. À moitié rampant quand mon corps ne me répondait plus, je remontais vers la surface. La lumière du soleil couchant éclairait la faune qui s'énervait alors que je l'écrasais.

À demi-conscient, j'entendais la monstruosité s'exprimer dans ma tête en s'amusant de ma terreur, riant de ma fuite et me chuchotant des promesses macabres.

J'ai peu de souvenirs de ce qui arriva ensuite. Le poison qui courait dans mes veines me faisait revoir les horreurs dont j'avais été témoin, avec mon corps à la place de autres. Ma vision se rétrécissait et je me rappelle avoir trébuché avant de sombrer dans les ténèbres.


Murmures au fond d'une grotteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant