5 June

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Je suis agréablement surprise par le discours d'Aaron sur la page blanche. Il n'a pas tort, bien au contraire. Néanmoins, venant de lui, ce genre de réflexion m'étonne. Rares sont ceux capables de concevoir que l'inspiration ne se commande pas.

Pour la première fois, je n'ai plus vu un Aaron sombre et renfermé, me regardant avec dédain. Non, j'ai aperçu un homme à la fois sûr de lui et presque révolté face à une sorte d'injustice.

J'occulte volontairement l'épisode des lettres pour me consacrer sur sa dernière tirade. L'angoisse est là, elle se tapit au fond de moi tel un monstre prêt à surgir, mais je la repousse le plus loin possible, tant que je le peux et que j'en ai la force.

Les fantômes du passé se cachent dans l'ombre. Aaron, en fait parti, même si ce n'est plus un spectre étant donné qu'il est devant moi à parcourir la pièce avec son carnet en main. Mais honnêtement, je ne sais pas encore si je peux lui faire confiance.

— Non, tu n'as pas tort, c'est bien ce qui m'étonne, dis-je d'un ton neutre.

Il s'arrête net et me scrute. Son côté sombre refait surface. Le voilà le Aaron que je connais. Comme une scène au ralenti, je le vois se refermer peu à peu, telle une huître qui protégerait sa perle. Car c'est bien de ça qu'il est question avec Aaron. Il ne m'a toujours montré qu'une facette de lui, la plus hautaine possible. Cependant, depuis ce matin, une autre est apparue. Brièvement, certes, mais elle m'intrigue encore plus. Et l'attirance que j'ai pour lui depuis mon adolescence refait surface également.

J'ai un objectif désormais avec lui, découvrir la « perle » qu'il cache. Je ne suis pas dupe, je sais qu'il agit ainsi avec moi, car je l'horripile. Pourquoi ? Je l'ignore. Après tout, on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais il a quelque peu oublié ma présence lors de sa tirade et j'aimerais que ça continue. Je vais juste devoir user de stratagème et de patience. Deux qualités dont je ne suis pas vraiment pourvu.

J'en parlerais à Abby, elle était ma première supportrice dès qu'elle a su que j'avais le béguin pour lui. Bon, elle s'est vite fait une raison, tout comme moi, quand je me prenais des piques incessants par mon frère ou qu'il m'ignorait royalement. Encore plus chaque fois qu'il était avec sa bande de potes, dont Tyler.

L'un comme l'autre ne m'a pas soutenu quand les brimades ont commencé au lycée. Les souvenirs surgissent à nouveau et mon palpitant s'affole. Une sueur froide me parcourt l'échine et mes oreilles bourdonnent. La crise d'angoisse arrive et je ne parviens pas à la contenir. Ma respiration se saccade et si je n'étais pas assise sur le fauteuil, je crois que je me serais effondrée au sol.

Je ferme les yeux, mais la sensation est pire. J'entends le sang cogner dans mes artères. Je perçois un chuchotis. J'essaie de me concentrer dessus pour comprendre les mots. Inspire. OK, je gonfle ma poitrine. Expire. J'obéis à cette voix et l'air s'échappe de mes poumons.

Je suis docilement le rythme que me donne ce murmure. Quand la crise semble s'éloigner, j'ouvre les paupières et découvre Aaron à genoux devant moi, les mains de part et d'autre de moi, appuyées sur les accoudoirs du fauteuil. C'était donc lui que j'entendais.

Après quelques secondes supplémentaires, je relève les yeux vers son visage. Son pli soucieux est revenu sur son front. Je me retiens de le toucher pour le lisser. Il soutient mon regard, mais ne dit plus rien puis finit par se lever et s'écarter.

Dès qu'il a fait un pas en arrière, un frisson m'a parcouru de la tête au pied. J'aurais souhaité qu'il reste ainsi près de moi encore longtemps. Je m'en veux instantanément de ressentir ça pour lui. Je n'ai pas oublié, tout est gravé dans ma mémoire. Je devrais continuer à lui en vouloir, mais je n'y arrive pas.

Succomber au son de ta voixWhere stories live. Discover now