2 Aaron

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— Arrête de tirer cette tronche de six pieds de long.

Je me renfrogne encore plus. Abby a tellement insisté pour ce rendez-vous, ça me paraît suspect.

Nous sommes dans un des ascenseurs du Four Season pour « relancer ma carrière » d'après les dires de ma sœur. Autant j'apprécie considérablement l'aide qu'elle souhaite m'apporter pour retrouver un travail, autant je ne supporte pas tout le mystère qu'elle fait sur mon possible employeur.

Cependant, vu que nous sommes dans un des hôtels les plus huppés de New York, j'imagine qu'elle m'a dégoté un entretien avec un grand sportif, ou bien un acteur, ou encore une célébrité. C'est déjà un bon point étant donné le salaire auquel je peux aspirer. Même si c'est à double tranchant puisque justement ça me ferme la porte de bon nombre d'emplois. Je pourrais réviser mes prétentions à la baisse, mais en réalité je n'en ai pas envie. Je suis arrivé au sommet de mon métier grâce à Shirley. Aussi, j'estime que je vaux ce montant.

J'ai préparé tout un argumentaire en ce sens d'ailleurs, en vue de cet entretien. Je ne peux pas me louper. J'ai besoin de ce job pour maintenir mon niveau de vie, et surtout garder mon appartement dans l'Upper East Side.

Nous voilà enfin arrivés à vingt-troisième étage du bâtiment. Il est grandiose et d'un haut standing. Abby me précède pour m'indiquer le chemin. Elle toque à la porte d'une suite et nous patientons quelques instants avant qu'un grand gaillard d'une quarantaine d'années, peut-être même proche de la cinquantaine nous ouvre.

Son visage me dit quelque chose, mais je ne parviens pas à remémorer qui c'est.

— Bonjour Bruce, comment allez-vous ?

— Bien, merci, Mademoiselle. Et vous ?

— Parfaitement. Nous avons rendez-vous.

— Oui, j'en suis informé. Je vous laisse aller dans le petit salon.

Le fameux Bruce me fait un signe de tête pour me saluer et nous nous dirigeons vers une autre pièce. Je me note mentalement que mon probable futur employeur a un garde du corps. Ça me conforte dans mon idée de célébrité.

Nous nous asseyons dans de grands et beaux fauteuils, attendant notre hôte. J'essaie de me composer un visage à la fois amical et détendu. Tout ce que je suis à ce moment précis.

Une porte s'ouvre de l'autre côté de la pièce et Abby bondit pour se rendre vers la personne. J'ai à peine le temps de me lever que ma cadette embraye déjà.

— Comment vas-tu, ma belle ?

— Bien et toi ?

Je reste figé, devant mon siège. Je dois halluciner, ou alors c'est une très mauvaise blague venant de ma petite sœur, très très mauvaise blague. Tous mes poils se hérissent dès que je découvre qui enlace Abby. Quand elles s'écartent enfin l'une de l'autre, notre hôte ancre ses prunelles aux miennes. Un courant électrique me parcourt, mes poings se serrent à tel point que mes ongles pénètrent dans mes paumes.

Je m'étais juré de rester loin d'elle et là voilà devant moi, June, la meilleure amie de ma sœur et surtout l'une des plus grandes chanteuses de notre génération.

— Bonjour Aaron, s'exclame-t-elle, me sortant de ma torpeur.

Je n'arrive pas à prononcer un seul mot, pas une seule syllabe ou même une onomatopée. Non, rien !

Je vois sa silhouette s'approcher puis se stopper à une distance raisonnable, de telle sorte qu'elle n'entre pas dans mon espace vital. June me tend la main. Mais je ne parviens pas à faire de même. Mon corps est en pilote automatique, il recule puis pivote afin de me diriger vers la sortie.

Succomber au son de ta voixWhere stories live. Discover now