Goutte

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« Eh bien, à moi de m’en sortir. »
Elle progressait dans les rues sombres d’Inazuma, seule et se faisant la plus discrète possible. La nuit était tombée et entourait la ville, et au loin résonnaient les éclats d’une fête et des feux d’artifice. C’était là qu’elle se rendait, avant de continuer vers son objectif. Elle s’était arrêtée un peu avant pour changer de kimono, et avait relevé seulement la moité de ses cheveux en un chignon lâche. Dans sa main, elle tenait un joli masque bleu sombre fabriqué par celle qui le lui avait donné.
Elle entendit les appels des gardes dans la distance derrière elle et avança un peu plus vite. Ils ne risquaient pas de la reconnaître, ils avaient l’habitude de la voir avec des cheveux bien arrangés et des vêtements luxueux, et elle avait sciemment changé sa mise pour acquérir une apparence simple. Elle se fondrait dans la foule quand elle arriverait à la fête.

Quelques temps plus tôt, dans la demeure Fujikawa.

« Tu n’as pas le choix.
- Je refuse !
- La décision ne t’appartient pas, ma fille.
- Vous avez convenu de tout sans moi, et vous me prévenez après ! J’ai le droit de m’indigner.
- Nous en avons déjà discuté, l’arrangement est conclu et nous n’allons pas revenir dessus. C’est ce qui est le meilleur pour toi et pour la famille.
- Mais je n’ai rien demandé ! Ne pouvez-vous pas refuser ? Je vous en prie, mère.
- Les deux parties se sont entendues, et nous sommes d’accord. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, Umi. C’est un très bon mariage arrangé, tu devrais te réjouir. Kamisato Ayato est le plus excellent parti que l’on puisse trouver, c’est un honneur de devenir sa femme, et tu as de la chance de pouvoir être élevée à cette dignité. En ce moment même est organisée une fête dans la ville pour l’annonce de votre prochaine union, et demain matin il viendra au domaine nous rendre visite.
- Me réjouir ? Je suis la principale intéressée, et on ne m’a même pas consultée. Et puis, je ne le connais même pas !
- Comment ça, tu ne le connais pas ? Il est le représentants d’une des Trois Commissions, c’est l’un des hommes les plus en vue de la scène politique.
- Je sais, mais je ne lui ai parlé qu’une fois. Je l’ai à peine vu en vrai, comment pourrais-je savoir comment il est ? Et il est plus âgé que moi.
- De quelques années seulement. Ton père et moi avons une dizaine d’années d’écart, et ça ne nous a pas empêché de nous entendre.
- Et qu’est-ce qu’il en pense, lui ?
- Tu lui demanderas une fois que tu seras son épouse.
- Ha. »
Sur ce, la femme la plus âgée se leva et quitta la pièce. Restée seule dans sa chambre, la jeune fille garda son air dédaigneux. Elle était hors d’elle que son mariage ait été decidé ainsi sans qu’on lui demande son avis, et qu’on lui ait annoncé si soudainement quelques jours plus tôt. Elle se considérait comme trop jeune, elle avait d’autres préoccupations en tête, même si ses amies commençaient à se marier et qu’on lui avait parlé du sujet. Elle comprenait que tôt ou tard cela lui arriverait, mais elle aurait aimé que ses parents lui demandent ce qu’elle souhaitait avant et si elle avait un type de prétendant en tête. En un sens, elle savait qu’ils ne faisaient que suivre les convenances de la société, et elle ne leur en voulait pas tout à fait, d’autant qu’elle savait qu’ils l’aimaient beaucoup et que sa mère la chérissait et souhaitait le meilleur pour elle, mais elle trouvait cela injuste. Elle tenait à sa liberté, et elle n’allait pas suivre ce qu’on lui disait de faire.
Quelques temps plus tard, sa suivante avec qui elle avait préparé un plan vint la retrouver, et lui apporta un masque ainsi que diverses affaires et notes dans un petit sac qu’elle lui remit. Elle irait se réfugier à Ritou, et elle déciderait après si elle quittait le pays au moins pour un temps où si elle restait s’y cacher jusqu’à ce que les recherches cessent. L’idée de faire cela à ses parents la peinait, mais s’enfuir était pour elle la seule solution. Avant de partir discrètement de la maison, elle avait remis une somme d’argent à sa suivante au cas où elle aurait des difficultés à cause d’elle, en lui promettant de revenir pour elle après un temps.

Et ainsi elle se retrouvait dans les rues de la ville dans la nuit, à se rapprocher de la fête. Elle était aux aguets, les bruits des gardes qui la cherchaient revenaient regulièrement. Enfin elle arriva en vue des passages éclairés. La foule y bougeait, tous portaient des masques, de nombreuses lanternes jaunes étaient accrochées en hauteur et illuminaient l’espace comme en plein jour, la rumeur des conversations faisait bruisser l’air, les gens dansaient, la musique résonnait. Elle sentit son cœur s’alléger quand un son l’alerta. Des groupes d’hommes en armes arrivaient par plusieurs rues, même si elle était presque arrivée et pressait le pas, ils risquaient de la rattrapper si elle ne trouvait pas vite comment se dissimuler. Elle repéra un homme qui observait les réjouissances et se tenait en bordure de la foule. Il avait des cheveux bleus et un joli costume blanc qui le mettait en valeur. Sans tarder, elle mit son masque, le rejoignit et passa son bras sous le sien. Elle leva le regard vers lui et prit la parole :
« Je risque de vous sembler bien téméraire, mais vous me rendriez un grand service si vous pouviez prétendre que vous êtes mon partenaire pour quelques instants. »
Il la considéra avec une once de surprise puis esquissa un fin sourire et déclara :
« Je vois, je peux vous accorder cette faveur.
- Je vous en remercie.
- Quel est votre nom ? s’enquit-il.
- Akane. mentit-elle.
- Un fort joli prénom. Il convient également à votre élégance. »
Déconcertée, elle ne répondit pas. Il inclina légèrement la tête avant de l’inviter :
« Eh bien, ma partenaire, que diriez-vous d’aller danser ?
- C’est une excellente idée. » accepta-t-elle.
Au milieu de la foule mouvante, elle pourrait encore plus facilement passer inaperçue. Il lui prit la main et l’entraîna vers un endroit où les couples tournaient ensemble, et tout deux s’arrêtèrent face à face. Elle le regarda plus attentivement et vit qu’il avait un masque bleu clair et les yeux d’un violet subtil qui lui donnait l’air mystérieux. Les premières notes s’élevèrent, et ils commencèrent à danser. Il la guidait avec assurance, il semblait bien connaître les pas, elle se surprit à trouver l’instant agréable et à en profiter. Il la faisait tournoyer de temps à autre pour toujours la rattraper avec assurance, tous deux suivaient la musique animée et entraînante, elle sentait ses mains tantôt sur sa taille ou dans les siennes et étrangement n’en éprouvait pas trop de gêne. Il était un partenaire doué, et elle sentait comme une sorte de charme l’entourer et qui lui donnait envie de le suivre.
Elle vérifia du coin de l’œil où en étaient les gardes, elle ne devait pas se laisser déconcentrer, du moins pas totalement si elle voulait s’en sortir. Il y avait du mouvement à la lisière de la foule, une poignée d’hommes passa en cherchant du regard, mais ils ne trouvèrent rien et continuèrent leur route. Elle retint un soupir de soulagement et se tourna à nouveau vers son partenaire. Quelques notes tourbillonnèrent encore et la musique toucha à sa fin. Tous deux s’arrêtèrent en même temps que les autres danseurs, et un temps passa.
« Je pense que vos poursuivants sont partis, remarqua l’homme, je vais vous laisser.
- Vous aviez remarqué ?
- En effet. Vous avez l’air de fuir quelque chose de déplaisant.
- Ce n’est pas impossible. Mais j’en fais mon affaire.
- Vous paraissez décidément avoir du caractère. dit-il avec une forme d’amusement. Ne le prenez pas mal, c’était un compliment.
- Je vais vous croire. Si je puis me permettre, quel est votre nom ?
- Kamisato Ayato, Chef du Clan du même nom. Si jamais vous avez besoin de quoi que ce soit un jour, vous pouvez venir me trouver. »
Et sur ce, il s’inclina et se détourna pour s’en aller. Elle n’eut pas le temps de le retenir, trop surprise, et le regarda disparaître dans la foule.

Goutte - Concours des 180Where stories live. Discover now