43. Encore debout

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Elle rappela ensuite la morgue pour poser quelques jours de maladie, ce que personne ne lui reprocha. Elle détestait passer pour une faible demoiselle, mais le ton de David Moliarey, au téléphone, lui renvoya exactement cette image. Une vieille fille fragile, terrassée par le décès d'une amie. Helen n'était même pas vraiment ça, une amie, mais ça avait été une bonne copine de terrain, une collègue sympathique, et, bien sûr, surtout, Laura était responsable du désastre.

Elle guetta l'appel d'Allan, en fin de journée, et il se montra à la hauteur de sa promesse. Ils n'échangèrent que trois mots, elle devina qu'il était en voiture, il lui recommanda de prendre bien soin d'elle, et elle l'assura qu'elle obéirait. Puis il s'excusa, elle le salua et en profita pour couper court à leur échange, consciente qu'une mélancolie assassine la saisissait comme elle prenait conscience de la distance qui les séparait, se souvenait de leur brève étreinte, de l'apaisement qu'elle avait ressenti dans cette chaleur inespérée, à nouveau hors de portée.

Elle but du citron et affronta la nuit. Le sommeil la fuit. Les chats vinrent lui rendre visite, un de chaque côté, et elle pleura encore un peu. Ce ne serait pas la dernière fois. Mais elle irait de l'avant. Elle l'avait toujours fait.


Le surlendemain, elle quitta son isolement pour se rendre à l'enterrement d'Helen, à Graëlon. C'est Rupert qui l'avait avertie et il la guetta dans le parking, avant de venir glisser son bras sous le sien. C'était un homme de peu de mots mais il avait une finesse émotionnelle rare dans leur métier. Elle le trouva inutilement protecteur mais ne le repoussa pas pour autant. Le soleil magnifique écrasait les pelouses jaunies et leur cortège de costumes endeuillés paraissait presqu'incongru. Les lunettes noires étaient de circonstance, cachant les yeux rougis. Laura demeura à distance, avec les autres médecins légistes, laissant le corps policier soutenir Andrew Melville, qui paraissait aussi choqué que lorsqu'elle l'avait vu errer sur les lieux de l'incendie.

Il y avait une délégation de pompiers, aussi, et un nombre impressionnant de collègues. On avait beaucoup jasé sur l'ascension fulgurante de la jeune femme, en son temps, mais elle était simple et amicale et elle avait touché beaucoup de cœurs sur son passage. Une grande perte, disait le curé. Une immense perte, oui. Elle avait l'étoffe des grands. Mais elle n'avait pas su lâcher prise, comme Jonathan, comme Laura. Pourquoi fallait-il qu'elle leur survive, chaque fois, alors qu'ils chutaient dans le néant ?

Elle avait retenu la mise en garde d'Allan, et lorsqu'elle alla s'incliner devant le cercueil, elle souhaita bon voyage à Helen et la félicita pour tout ce qu'elle avait accompli, en comprimant les regrets tout au fond, en n'espérant en rien, en rien du tout, qu'elle puisse être encore là pour accomplir sa tâche.

Ils allèrent saluer la famille, les parents, une sœur, parlèrent à Andrew qui n'entendait rien et absorbait les condoléances comme si elles n'avaient été que de petites gouttes de pluie sur ses épaules accablées. Ils rentrèrent à la morgue et burent un café morose dans la cafétéria. Donald raconta que les autorités avaient décidé d'un plan d'urgence pour sécuriser les résidences étudiantes. L'université avait débloqué un budget de plusieurs millions. Il avait fallu une tragédie pour que la machine se mette en branle, comme trop souvent.

David profita de leur présence à tous pour leur demander de remettre leurs conclusions sur les cas de Butterfly avant la fin du mois. Personne n'avait rien trouvé de suspect, évidemment. Ils discutèrent du programme de séminaires pour la rentrée, puis convinrent d'un autre moment pour définir la tournante des gardes. Laura consulta les notes d'entrée et se choisit un cadavre, refusant de prolonger son congé. Oui, elle avait été troublée par le décès d'Helen, mais elle n'était pas si proche d'elle, c'était juste une collègue... Elle pouvait faire face. Et elle le fit. Le travail était toujours une bonne manière d'aider les choses à rentrer dans l'ordre. Si seulement elle avait pu soulager son sentiment de culpabilité et ce sentiment de manque dévorant.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now