40. Qui sème le vent

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— Elle pourrait avoir suivi Henry.

— Oui. Elle pourrait. Mais il est très loin. Tu disais qu'elle allait frapper au plus proche.

— La parole d'un expert de forum nommé DunDun.

— Imaginer qu'il existe des experts de ce genre de choses ne me semble pas absurde.

— Sans doute. J'en serai bientôt une, je suppose. Experte de toute cette merde.

Elle ne put distinguer son expression ; la lumière, la foule, sa transparence, l'en empêchèrent. Elle s'en voulut, cependant.

— Pardon. Je suis désolée. Rien n'est de ta faute. Merci de m'aider. Merci mille fois, Jonathan.

— C'est naturel. Je ne pourrais pas faire autrement.

Ils sombrèrent dans le silence. Le psychiatre s'effaça, sans doute pour économiser son énergie dans l'attente d'une confrontation potentielle. Laura laissa son regard courir sur l'esplanade, ces innocents tranquilles, qui bavardaient autour d'un verre, s'échangeaient de menues nouvelles, des anecdotes qui prêtaient à rire, des confidences ordinaires, ou peut-être dramatiques. Son sentiment d'être en marge revint la frapper en force, elle tritura l'emballage en aluminium du comprimé dans sa poche, songea qu'elle n'avait rien pour la faire passer, l'eau d'une fontaine où chiaient les pigeons, un bocal d'eau bénite à la sauce plume et bruyère. Elle avait avalé une plume d'archange, autrefois, pour tout le bien que cela lui avait fait.

Elle se demanda si Aaron avait toujours la sienne, glissée dans la pochette de sa carte de la Société, qu'elle lui avait fourré entre les doigts avant de le pousser dans le placard. Peut-être l'avait-il jetée dans une poubelle, brûlée, écrasée de la semelle. Peut-être l'avait-il toujours. Une preuve de sa double vie, compromettante, qu'il aurait pu utiliser pour la mettre dans l'embarras. Il n'en avait rien fait. Il n'en ferait rien. Il valait mieux qu'elle, elle l'avait toujours su.

Elle chercha Renata parmi les attablés du Triangle et finit par la repérer, une femme dans la cinquantaine, aux cheveux d'un roux ambitieux, qui buvait un cocktail en discutant avec un type à la mine renfrognée, sûrement le policier qu'elle avait tiré jusque là à son corps défendant. Un dernier larron scrutait les lieux sans s'en cacher, et Laura se détourna vivement. Des gilets pare-balles déformaient leurs vêtements, inutile précaution.

— Elle est ici, souffla alors Jonathan.

Ses paroles la frappèrent comme une décharge électrique et elle se redressa brusquement, cherchant l'Ysbrydial du regard, depuis la terrasse vers le large. Elle repéra Jonathan d'abord, sa lumière bleue vibrant dans les orangés du crépuscule, à une cinquantaine de mètres du Triangle. Comme s'ils percevaient quelque chose, un frisson d'outre-tombe, les promeneurs semblaient éviter la zone où il se trouvait, s'écartant spontanément pour choisir un établissement dans la direction opposée ou bifurquer in extremis vers le musicien, qui n'avait sans doute jamais eu autant de succès.

Laura peina à détecter la créature dunnite. Son rougeoiement teinté de noir se fondait l'ombre portée des bâtiments, un scintillement presque invisible, même à ses yeux. À quelques pas de Jonathan, elle semblait tracer un mouvement nerveux, de gauche à droite et de droite à gauche, une panthère en cage, contrainte par des barreaux spirituels. Jonathan était-il capable de lui imposer de l'écouter, un pouvoir de suggestion inévitable, généré par son empathie surnaturelle ?

Tout autour de la jeune femme, les sons et les images se brouillèrent, au rythme de sa panique. Elle devait prévenir Renata, l'enjoindre à fuir, à remonter dans cette voiture et déguerpir au plus loin. Débouler à sa table était hors de question, mais créer une commotion sur la place pourrait inquiéter ses protecteurs.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now