23. Les voies du dépit

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La solitude n'était pas l'idéal, évidemment, dans son état d'esprit et, une fois installée dans un coin, dos au mur, elle sortit son téléphone et appela Helen. Elle ne pouvait pas lui dire ce qu'elle avait appris, mais elle voulait savoir s'il y avait du nouveau.

— J'ai vu les parents, dit la jeune inspectrice. Très remontés, encore sous le choc. Mais aucune chance qu'ils aient fracassé un crâne à coups de clavier.

Et pour cause, songea Laura. Aucun être humain n'en est capable.

— Je ne pense pas qu'ils aient pu commanditer quoi que ce soit. Je ne suis pas sûre que j'aurai un mandat pour le vérifier, d'ailleurs. Tellement peu d'éléments tangibles... Bref. Je n'ai pas tellement envie d'en parler, je suis désolée, ça me plombe, cette histoire. Je n'avais pas besoin de ce genre de trucs en ce moment.

Laura savait que la crédibilité de la jeune femme était régulièrement mise en doute par ses collègues plus âgés. Beaucoup disaient qu'elle était arrivée à cet échelon uniquement grâce à son mari. Qu'elle soit douée et travailleuse semblait n'avoir aucun poids dans leur jugement. Trop jeune, trop jolie. Elle parlait parfois de changer d'air, si pas de métier.

— Je suis sûre que tu vas finir par le coincer, dit Laura, même si elle savait désormais que c'était impossible.

Helen rit.

— Merci de la confiance. Mais à l'heure actuelle, je n'ai qu'un espoir : qu'il recommence. Ou essaie. J'ai mis cinq cibles potentielles sous surveillance.

— Des cibles potentielles ?

— Oui. Des profs qui ne font rien pour être appréciés de leurs subordonnés.

Laura eut un frisson.

— Je dois t'avouer qu'il y en avait bien trente, sur toute l'université, mais je n'ai pas les moyens. Alors je me suis concentrée sur ceux qui avaient des contacts avec Zaffy. Des étudiants en commun, potentiellement, ou des chercheurs. Des types qui servent dans les mêmes comités. Mais Zaffy n'était pas imbuvable qu'avec les scientifiques. Il était imbuvable avec les informaticiens, le personnel d'entretien, les administratifs... Il était juste...

— Imbuvable, compléta Laura.

Helen rit à nouveau.

— Voilà. Enfin bref. On verra ce que ça donne.

— Ça me semble une bonne idée, dit Laura.

C'en était une, sauf que les chances pour Helen de voir l'entité étaient nulles. Un courant d'air froid, un éclat de lumière... Elle ne pourrait rien faire. Et Allan avait dit que c'était dangereux. Laura faillit lui demander qui étaient les profs incriminés, mais Helen ne lui dirait pas, secret professionnel. 

Tout en saluant l'inspectrice, elle réalisa qu'elle pourrait plus facilement qu'Helen identifier la prochaine cible potentielle. Elle savait qu'il s'agissait d'une entité en colère, et qu'elle avait fait entre deux et quatre victimes, Allan n'en avait pas dit assez. La suivante était sans doute reliée aux premières. Le site de l'université lui indiquerait qui gravitait dans leur sphère. Elle pouvait peut-être trouver un moyen d'informer la police, indirect... Ou alors se servir du bras de la Société. 

Oui, c'était la bonne solution. 

La Société avertirait Helen et la jeune femme ne poserait pas de questions : les services secrets avaient leurs sources, confidentielles, auxquelles elle pourrait se fier. Si Helen confinait les victimes potentielles à domicile, il serait facile à Laura de placer des sceaux de sauge et de sel à l'extérieur pour empêcher l'entité d'y pénétrer. Cela lui laisserait le temps de s'épuiser. 

En imaginant qu'elle soit de la même nature que Jonathan, ce qui n'était pas sûr, mais Allan avait semblé regrouper tous les fantômes dans la même catégorie. Laura voulait y croire, le croire, c'était son créneau, à cette saloperie de chacal.

Elle sourit et se sentit rassérénée. Elle pouvait lutter, Allan avait tort. Son espèce n'avait pas à baisser les bras et laisser la « nature » suivre son cours. A ce prix-là, les tigres, la peste et les volcans auraient déjà gagné la guerre.


Dans la nuit estivale, illuminée par des éclairs mais sans pluie, Laura dirigea sa petite voiture vers l'ouest de la ville et un immeuble qu'elle connaissait bien pour l'avoir fréquenté plus ou moins régulièrement des années plus tôt. Elle n'avait pas envie de tomber sur Jonathan, pas encore.

Elle gara l'hybride derrière une petite sportive d'un rouge éclatant puis traversa la rue et entra dans un hall décoré de plantes en plastique un peu poussiéreuses. Duncan habitait au deuxième et elle sonna, malgré l'heure tardive. Il avait l'habitude de ce genre de débarquements. L'avait eue, en tout cas. Mais elle avait vu, en levant les yeux, qu'il y avait encore de la lumière derrière ses stores.

L'interphone finit par crépiter.

— Oui ? dit-il, de la surprise dans la voix.

Laura entendit de la musique et fut prise d'un mauvais pressentiment.

— Bonsoir Dunc. Désolée de débarquer si tard. C'est Laura... Je me demandais si... je pouvais par hasard passer la nuit chez toi ?

Un silence lui répondit, la musique toujours présente en fond, une mélodie un peu langoureuse. Elle devina qu'il n'était pas seul.

— Heu... Ce n'est pas exactement... le bon soir... murmura-t-il, embarrassé.

— D'accord. Pas de soucis. J'aurais dû téléphoner d'abord. Je suis désolée.

— Heu... Non... C'est moi mais... Il y a un souci ?

— Non. Juste... J'étais dans le coin... Ce n'est pas grave.

Elle ne pouvait pas lui dire qu'elle avait imaginé reprendre leurs activités antérieures, juste une étreinte rapide et une bonne nuit de sommeil, histoire de conjurer les ténèbres. Ils avaient partagé ce genre de plans l'année précédente encore, sans attaches, sans complications. Bizarrement, cela lui semblait déplacé, et de toute façon, il savait parfaitement pourquoi elle était là.

— Je suis désolé, dit Duncan.

Il était soulagé. Laura eut un sourire misérable devant l'interphone. Heureusement, il n'y avait pas de caméra.

— Il n'y a pas de quoi. On se voit bientôt.

— Demain matin. A la réunion. Tu avais oublié, je parie.

Touché coulé.

— Pas du tout. Bonne nuit.

— Toi aussi... Tu es sûre que ça ira ?

Il avait besoin d'être rassuré... puis qu'elle le laisse tranquille.

— Bien sûr. A demain.

Il raccrocha le premier et elle resta une seconde dans le petit hall, interdite, avant de regagner la rue. Il faisait désormais complètement noir. Elle regagna sa voiture, jeta un œil vers les fenêtres illuminées, loin au-dessus d'elle, puis repartit vers le centre-ville. Pendant un moment, elle erra dans les rues, un peu hypnotisée par les lumières, rouge, vert, orange des feux de signalisation, le bleu clignotant d'une ambulance hurlante, les roses et les jaunes criards des enseignes, le blanc des phares quand elle croisait quelqu'un d'autre. Elle se sentit dériver peu à peu. Rouler encore devenait dangereux. Il fallait qu'elle s'arrête. 

Elle songea à nouveau aux profs de Fernbridge et à l'esprit en colère, peut-être celui du suicidé, peut-être un autre, trucidant ceux qui l'avaient exploité et trahi. Pour finir, elle mit le cap sur les locaux de la Société. Même s'il n'y avait personne, elle avait accès à toute heure et elle pouvait profiter de la salle de repos pour dormir un peu. Il y avait une douche, un lavabo, elle se débrouillerait pour avoir bonne mine à la réunion du matin. 

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now