9. Inspection délicate

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Le quartier où il se situait, au sud de Murmay, comptait parmi les plus courus de la capitale et, malgré son look agréable, l'asile semblait presque vénéneux. Il n'y avait plus eu d'évasions depuis des lustres et personne ne voyait les malades qui arpentaient les pelouses, à l'abri de leurs murs. Peut-être les entendait-on hurler, parfois... Il devait y avoir des ambulances, de temps en temps, même s'ils avaient une équipe hospitalière interne... et puis, bien sûr, il y avait eu le meurtre de Jonathan. 

Juste là. 

Laura gara sa voiture plus ou moins à l'endroit où il avait dû laisser la sienne, en hiver, sous ces chênes magnifiques qu'on n'avait pas encore coupés dans une frénésie sécuritaire. Pourquoi il ne s'était pas rangé à l'intérieur, dans le parking du personnel, elle n'en savait rien. Peut-être avait-il égaré sa carte d'accès. Peut-être n'aimait-il pas cette atmosphère confinée. Peut-être avait-il eu envie de marcher un moment le long de l'avenue, sous les arbres, avant de gagner Butterfly.

Elle n'était jamais allée sur sa tombe, malgré les mille promesses qu'elle s'était faites dans des moments de honte, mais elle n'était jamais venue là non plus. À l'endroit où il avait été tué de deux balles, où il avait agonisé dans le caniveau humide, sans que personne ne réalise rien, sinon trop tard. Debout sous le soleil encore rayonnant, elle se sentit creuse, un moment arrachée à elle-même, à l'été, songea à l'injustice qui l'avait démolie autrefois, et qu'elle avait cherché à oublier.

Elle regarda la voiture qui arrivait sur sa droite, encore lointaine, et traversa. Elle devait à Jonathan de protéger son œuvre, dans la mesure de ses moyens. Réviser ces dossiers, comprendre ce qui se déroulait à Butterfly... Cela en faisait partie.

Elle signa un document à l'entrée, reçut un badge et attendit l'administratif qui devait la prendre en charge. Une jeune femme au tailleur parfait et aux immenses lunettes la salua chaleureusement avant de l'entraîner jusqu'à une petite salle de réunion où on avait entreposé tous les dossiers. En échange du fameux mandat, Laura se vit confier une douzaine de fardes cartonnées dont dépassaient des feuilles libres. Giulia lui avait fourni la liste des cas dont elle avait besoin et la vérifia avec soin, malgré une envie d'aller se poser dans son canapé qui devenait grandissante. 

Il en manquait trois.

— Ah... Vous avez raison, murmura la jeune femme. Ce sont des morts récentes... Deux... suicides et une mort naturelle. Toutes au troisième. Je pense que les médecins n'avaient pas fini de compiler leurs notes quand nous leur avons demandé de nous apporter ce dont vous avez besoin. Mais c'était il y a plusieurs jours, peut-être est-ce terminé... Je peux les appeler...

Elle avait déjà sorti son téléphone portable.

— Laissez, je vais monter au troisième leur poser la question. Je peux laisser tout ça ici en attendant ?

Son interlocutrice sourit, soulagée d'être dégagée de cette conversation téléphonique. Les médecins ne devaient pas apprécier qu'on mette en doute leurs capacités à protéger les patients, au point de venir fouiner dans leurs dossiers.

— Bien sûr. Je laisse la porte ouverte. Ce n'est pas comme s'il y avait beaucoup de visiteurs dans les couloirs.

Bravo le secret médical, songea Laura. 

Mais cette partie de l'hôpital était effectivement déserte et protégée : l'entrée publique se situait de l'autre côté de l'imposant bâtiment.

—  Parfait. Merci de votre aide et de votre collaboration. Je suis sûre que ce ne sera qu'une formalité.

— Nous l'espérons tous, répondit l'employée administrative en regagnant le couloir.

Laura supputa, à son ton de voix, qu'elle n'en avait en fait absolument rien à faire. Elle n'était sans doute jamais montée au troisième.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now