L'homme était en excellente santé, sans graisse excessive, avec des muscles bien sculptés, et les petites déformations classiques de son hobby, au niveau des genoux, de l'entrejambe, des poignets. C'était pas de chance, quand on pratiquait un sport régulier, d'avoir le cœur fragile. Mais cela arrivait souvent : les athlètes de haut niveau soumettaient leur corps à rude épreuve, et parfois, un maillon faible lâchait.

Elle referma le tout, ultime travail d'aiguille, puis signa la décharge et mit le cap sur sa seconde morgue, et les autopsies officielles qu'elle avait à mener.

***

Comme elle l'avait prévu, Laura passa les jours suivants à préparer son fichu cours d'été. 

Ses collègues avaient accueilli la nouvelle avec hilarité, Ryan lui avait donné ses anciens syllabi, Rupert les diapositives d'une présentation qu'il avait faite à l'université de Saffron deux ans plus tôt. 

Le cours en question était un rattrapage en seize heures pour les étudiants qui venaient d'autres institutions et pour ceux qui avaient une seconde session en médecine légale. Comme l'avait dit Lafferty, il ne s'agissait pas de futurs collègues ou assistants, mais bien de psys, de juristes et autres inspecteurs, qui voulaient s'encanailler au pays des morts suspectes et violentes. Certains professeurs aimaient, dans ces conditions, remplir leurs présentations de photos choquantes, mais Laura savait qu'un esprit stupéfait n'emmagasine pas grand-chose, ou pas ce qu'il faut, et elle préféra doser ses effets, recourant à des dessins et des schémas pour expliquer les concepts clés. 

Elle y passa toutes ses heures libres, refusant de réfléchir au fait que ce n'était qu'une couverture pour son véritable travail, sa première mission pour la Société en six mois, une occasion de reprendre pied dans le tourbillon chaotique qui l'avait toujours tant enthousiasmée. Idéal pour se changer les idées, en tout cas.

Elle reçut la liste des étudiants — vingt-trois, dont Graham — le vendredi précédant le début des hostilités. Elle était attendue à une réunion avec ses homologues professeurs le lundi matin et les cours commenceraient dès l'après-midi. Elle donnait quatre heures le mardi après-midi, quatre le jeudi matin, et même chose la semaine suivante. Ce serait intensif, mais c'était l'idée du programme, une sorte de marathon criminalistique. Elle nota qu'elle connaissait certains des autres enseignants, notamment la personne qui informerait les étudiants sur la procédure policière, et l'expert en droit pénal. Gareth Conway n'en faisait pas partie. Bien que membre de la faculté, il n'était pas censé se mouiller sur cette affaire, pas d'emblée, dans le cadre de son poste officiel à Murmay. Il aurait sûrement des choses intéressantes à raconter, cependant.

***

— Tu le connaissais, Tillman, l'entomologiste qui est mort ? demanda Laura à Ryan, lors d'une pause-café entre deux cadavres.

Installé sur sa chaise fétiche, l'assistant leva les yeux de son journal, le retourna, et vit que la photo du professeur en question figurait sur le revers.

— J'ai lu plusieurs de ses papiers. Jamais rencontré. En général, j'allais voir Nadia, sa post-doc. Plus accessible et sûrement plus calée.

— C'est-à-dire ?

— C'était un dinosaure qui signait tout ce que son labo sortait, généralement sans en toucher une. En tout cas, c'est ce que ses chercheurs racontent. Il a fait sa réputation sur deux gros articles, il y a vingt ans, des trucs un peu révolutionnaires sur je ne sais quelle mouche à crottes, il a formé une grosse équipe avec les fonds, sélectionné les meilleurs, et puis... il s'est mis à faire du vélo.

Il eut une grimace qui révélait tout le bien qu'il en pensait.

— C'est du joli.

— C'est standard, répondit Ryan en haussant les épaules. Les gens du milieu ne s'en offusquent plus vraiment, le système marche comme ça. Mais je ne crois pas qu'il y aura beaucoup de monde de l'unif, dans la jeune génération, qui va le pleurer...

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now