𝚉𝙴𝚁𝙾

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Chaque soir, je me prive de vivre.
Chaque soir, je meurs un peu plus.

EGON
Par le passé

Canning Town, Angleterre, Novembre 2002.

— Montre-moi avec tes doigts quel âge tu as.

Ma sœur, Cecylia, me dévisage comme si j'étais un petit génie, mais je sais que je ne le suis pas. Je n'arrive pas à faire mes devoirs, voilà pourquoi.

Si j'étais un génie, elle ne serait pas présente à mes côtés chaque dimanche et en plus de ça, j'aurais résolu tous mes exercices tout seul, comme un grand garçon, mais elle a cette fâcheuse tendance de m'ébouriffier les cheveux. Ce qui me rappelle que je ne suis encore qu'un enfant de huit ans.

Huit ans... C'est combien de doigts déjà...

Je tends ma paume vers elle en relevant la tête et elle affiche instinctivement ce sourire qui m'informe de ma faute. Alors, je tends mon autre main et lui montre mon pouce suivi de mon index. Elle finit par ricaner et relève mon majeur de ses maigres doigts.

— Ça, c'est huit ans, Egon. Tu deviens un grand garçon.

A nouveau, elle passe ses mains dans mes cheveux noirs, retombant sur mes yeux.

— Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Ralé-je. Je ne vois rien avec les cheveux devant les yeux !

Elle pose un baiser sur le dessus de mon crâne avant de se redresser en riant. Ses longs cheveux noirs tombent sur le bas de son dos, camouflant presque son corps amaigri.

Cecylia et moi vivons dans ce minuscule appartement depuis que je suis un bébé. Nous n'avons jamais changé de domicile. Je lui répète souvent qu'on devrait en prendre un nouveau, mais elle me répète toujours qu'ici, les souvenirs sont bons et qu'ailleurs, les réminiscences ne seront pas aussi précieuses. Alors, j'ai arrêté de demander même si ce que je retiens de cet endroit n'est pas très mémorable. Bien sûr, il y a nos moments heureux passés entre frère et soeur, mais il y a aussi les moments où elle m'enferme dans le placard. Ca, ce n'est pas de bons souvenirs.

Peut-être que pour elle, ça en est. C'est pourquoi je ne me plains pas quand elle m'y enferme... Bon je mens...

Je fais d'abord une scène de quelques minutes parce que j'ai peur du noir et après, je me sers de mes mains et bouche fort mes oreilles pour ne rien entendre.

Je ferme aussi très très fort les yeux parce que le noir de mes rétines est plus réconfortant que le noir que je vois.

— A quoi tu penses, petit monstre ? demande ma sœur en ouvrant un des placards de la cuisine en y sortant deux boîtes de thon.

— Je ne veux pas manger de thon !

Elle revient vers moi et pose un grand verre d'eau sur la table avant de s'installer à mes côtés.

— Tu as peur d'en devenir un à force d'en manger ?

— Ce n'est pas drôle ! boudé-je en croisant mes petits bras sur mon torse.

Elle débouchonne la boîte de conserve et fait pareil avec la sienne en y glissant une cuillère dans la mienne.

— Ne t'inquiète pas, ça ne risque pas d'arriver. Tu seras un beau garçon en grandissant.

Cette fois, elle glisse son doigt sur mon front et débarasse mes cheveux de ma vision en ajoutant :

— Et tu mangeras autre chose que du thon !

Je tape sur sa main, ne quittant pas ma mine boudeuse. Je glisse la cuillère pleine d'huile et de thon sur ma langue ; la saveur ne m'a pas manquée. Je suis prêt à le recracher, mais Cecylia vient à la rescousse et me passe le verre d'eau que j'engloutis en une fraction de seconde.

— Comment peux-tu en être aussi certaine ? dis-je en reprenant la conversation tout en essuyant l'excès d'eau sur le manche de mon pull. J'ai l'impression qu'il n'y a que ça sur cette planète à force d'en manger.

— Parce que, contrairement à ta stupide soeur, tu seras un grand monsieur avec beaucoup d'argent.

Je repose mon couvert qui scintille sur la conserve métallique avant de retomber sur la table en bois et reporte mon attention sur ma sœur. Ses coudes sont posés sur ses genoux et ses mains encerclent ses joues. Pour ce qui en sont de ses yeux bleus, elle me jauge d'un air sérieux. Elle ne se moque pas de moi.

— Et pourquoi toi tu ne fais pas d'argent ? quémandé-je.

— Je fais de l'argent, Egon.

— Non ! crié-je. Tu fais des trucs pas bien et tu m'enfermes toute la soirée dans le placard après m'avoir donné du thon !

Je me lève et fais quelques pas qui me mènent à la cuisine. J'y ouvre le mini frigo et reporte mon regard sur ma soeur en disant :

— Regarde ! Il n'y a rien ! Si tu faisais de l'argent, il y aurait autre chose que du thon à la maison !

Cette fois, ses yeux perdent de leur lueur.

— Je préfèrerais que tu sois morte à la place de maman !

Soudain, elle est tétanisée.

Et moi aussi.

Pas par ce que je viens de dire.

Pour autre chose.

Rapidement, elle accourt vers moi et me porte dans ses bras. Deux autres coups frappent à la porte et elle s'agite beaucoup plus vite.

Ses doigts me pressent contre elle tandis qu'elle ouvre l'une des deux portes de ce minuscule appartement, celui qui mène à sa chambre.

— Non, pas à l'intérieur ! Non !

Je me débats comme un fou pour qu'elle me lache, mais elle n'en a que faire. Cecylia ouvre la porte coulissante de sa grande armoire en bois et me pose à l'intérieur.

Je m'agrippe encore à elle, à sa robe noire, à n'importe quoi. Tout sauf le placard.

Tout sauf ça.

— Ne me laisse pas tout seul. Ne me laisse pa...

— Ça suffit Egon !

Elle applique plus de force sur mes bras jusqu'à me faire crier de douleurs. Alors je la lâche contre mon gré. Les larmes me broient la vue et comme à chaque fois, elle essuie chacune d'elles d'un geste pressant.

— Ne fais pas de bruit, me menace-t-elle de son majeur pointé vers moi. Pas de bruit, Egon, c'est compris ?

Mes bras autour de mes jambes revenu à moi, je hoche machinalement la tête tandis qu'elle pose un furtif baiser sur le haut de mon crâne.

— La nuit passera vite, c'est promis.

Elle se redresse et c'est lorsqu'elle fait glisser la porte de sorte à ce que je ne vois plus rien du monde extérieur que je ferme les yeux tout en me bouchant les oreilles de mes paumes malgré mes mains tremblantes et le fait que je sois tétanisé.

Je coupe chacun de mes sens.
Je me prive quasiment d'air dans cet endroit irrespirable.
Je ferme les yeux pour ne rien voir de cet endroit effrayant.
Je me bouche les oreilles pour ne rien entendre de ce qui se passe à l'extérieur de cet endroit non- isolé

Chaque soir, je me prive de vivre.
Chaque soir, je meurs un peu plus.

Il est tard mais je voulais absolument poster le prologue.

Intrigué(e)s ?
Dites-moi tout !

Bientôt le chapitre un...
Je ne sais pas s'il sortira avant ou après la fin de CHROME HEARTS...
On verra bien !

Je préviens de la sortie des chapitres sur INSTAGRAM uniquement !

Instagram : angeologye

BURST HEARTS (TOME 1 & 2)Where stories live. Discover now