Et elle se souvient avoir aperçu cette voiture noire brièvement, seul son regard était fixé dans celui de Mathieu à travers la vitre. Lui et Camille venaient d'être servis, il a désigné son plat du doigt en lui offrant son habituel sourire.

Elle a entendu des coups de feu, elle a d'abord pensé à des pétards agricoles ou des pétards de festivité, puis des hurlements de douleur, de terreur. Mathieu est tombé sous ses yeux, il a glissé de sa chaise en se tenant l'abdomen ensanglanté, tout comme Camille qui a eu plus de chance, c'est ce que Isis a cru pendant plusieurs années.

Isis se souvient des cris, elle se souvient du bruit de la vitre se brisant en des milliers d'éclats de verre alors qu'elle était incapble de bouger face à la vision sanglante. Elle ressent encore la douleur à son épaule de cette balle de Kalachnikov qui l'a seulement effleurée.

Mais la douleur était si intense que Isis en est tombée, venant s'entailler les mains sur les éclats de verre. Elle se souvient des rafales qui ont semblé durer une éternité, alors qu'à peine trois minutes s'étaient écoulées.

Elle a hurlé fort, tellement fort que pendant les trois jours suivants elle avait été incapable de dire un seul mot. Personne ne saurait dire si c'était ses cordes vocales éreintées ou le traumatisme.

Isis se souvient du corps de Mathieu, ses yeux bleutés arrêtés dans le vide et tout ce sang sur le sol. Elle se souvient du visage défiguré de Camille que même les nombreuses chirurgies n'ont pas réussi à rendre sa beauté naturelle.

Elle se souvient être arrivée à un hôpital, sans savoir dire ce qu'il s'était passé. Une seule préoccupation trônait dans ses pensées, elle devait appeler les parents de Mathieu mais elle avait été incapable de récupérer le téléphone de ce dernier. Les secours l'avaient arrachée de force à son corps sans vie, dans ce chaos le plus total.

La panique régnait.

La fébrilité était maître.

Et Isis n'a cessé de se souvenir depuis. Chaque nuit. Chaque vendredi. Chaque treize. Chaque vendredi treize. Chaque treize novembre.

Isis ne pourra pas oublier malgré tous ces efforts pour éviter. Il y a cette culpabilité écrasante d'avoir survécu, elle ne saurait dire s'il s'agissait de la chance, du hasard, du mauvais endroit, du mauvais moment. Elle était là-bas, elle n'y est pas restée.

Seulement son esprit.

Elle est en état d'hypervigilance constant, le moindre bruit peut la faire sursauter. Elle a toujours une impression constante de danger ou de désastre imminent, elle interprète tous les signes. Elle est devenue si superstitieuse que Isis croit n'importe quoi.

Son corps ne cesse de trembler, il est parcouru de spasmes d'une rare intensité et Isis n'esquisse aucun mouvement. Elle se contente simplement de rester allongée dans le lit, elle hait son organisme qui ne réagit pas normalement. Elle aurait préféré crever. Elle aurait aimé, peut-être qu'elle n'aurait pas besoin de souffrir autant, car tout ceci est de sa faute, si seulement elle n'avait pas voulu fumer.

Et la porte de sa chambre s'ouvre sur son père dont le regard brisé se pose sur son visage brouillé par les larmes. Isis ne l'a même pas entendu rentrer dans son appartement, elle qui entend tout. Un soulagement immense gagne sa poitrine lorsqu'il s'approche pour la tirer de son lit.

Son corps est crispé, elle baigne dans une couche de sueur et ses mains s'agrippent fermement aux épaules de son paternel. Isis se doute qu'il s'est souvenu de sa violente crise deux années plus tôt, lors de ce jour particulier.

- Est-ce... que... maman... aurait aimé.... Mathieu ?

Elle balbutie difficilement à la recherche d'une autre inspiration tandis que sa respiration s'entrecoupe violemment à cause de ses sanglots et l'étreinte de son père s'accentue. Elle est tout ce qu'il lui reste de sa mère, elle est comme la prunelle de ses yeux malgré le fait qu'il ne puisse pas le démontrer aussi souvent qu'il le souhaite.

- Il te rendait heureuse et c'est tout ce qu'elle aurait voulu, avoue-t-il.

- Et... toi ?

- Je ne veux que te voir sourire.

Elle acquiesce en tremblant toujours autant tandis que son père l'aide à avaler un autre calmant, un somnifère à base de plantes et Isis voudrait dire qu'ils n'ont plus l'effet escompté depuis bien longtemps mais les mots ne peuvent s'échapper de ses lèvres.

- Je... désolée... je... je suis... pas à la hauteur...

- Ne t'excuse pas chérie, ce n'est pas de ta faute.

- Si je n'avais pas fumé...

Sa voix se brise, tandis que ses yeux se ferment lentement d'épuisement, sous les carresses de son père dans ses cheveux. Elle sombre dans un profond sommeil presque immédiatement à cause de la fatigue accumulée depuis plusieurs jours, elle n'entend pas les aveux de son père :

- C'est de la mienne, c'est de la notre avec Nathalie. Nous n'aurions pas du te disputer et tu ne serais pas sortie dehors ce soir-là...

petit chapitre très triste, vous étiez beaucoup à avoir deviné ce qu'il s'est passé

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petit chapitre très triste, vous étiez beaucoup à avoir deviné ce qu'il s'est passé... :(

c'est un petit remède d'écrire sur un tel sujet pour moi, j'ai longtemps eu cette "peur" après ces attentats de sortir dans certains événements, notamment les stades avec les pétards agricoles. J'écris souvent sur "mes peurs" qui sont passagères, ce n'est pas des phobies contrairement à certaines personnes mais elles sont obsessionnelles de manière éphémère, un peu comme dans C'était Écrit concernant les radiations, le nucléaire ou encore dans Ultima Verba...

Sur une note plus joyeuse : félicitations à ceux ayant reçu les premiers résultats du bac !

EMPTY PLACES » Pierre GaslyWhere stories live. Discover now