Est‑ce que Grenade aimerait que je lui raconte tout ça ? J'arrivais même pas à le dire à Driss Diakité, avec qui j'étais pourtant hyper dur. Allez, ça servait à rien. S'il y en a un à qui j'aurais pu raconter ce genre de trucs, c'était pas Grenade ni Champi, ça les stresserait trop. C'était ce traitre de FdB.
Quand j'avais entendu sa voix ça m'avait fait comme une décharge électrique. Alors comme ça il s'était fait tej par son plan‑cul ? Le pauvre chou. Plus tard, quand j'ai eu l'occasion, j'ai demandé à Champi pourquoi il avait fait ça, et il m'a répondu qu'il lui en voulait trop d'avoir activé le brouilleur IEM, de l'avoir forcé à me trahir.
— Je m'en fous, tu sais. Tu peux te remettre avec ça me dérange pas. Tu nous dis à Grenade et à moi de lui laisser une chance, alors je vois pas le problème à ce que tu le fasses aussi.
À mon avis on n'est jamais forcé de trahir. À mon avis on choisit. C'était vrai pour Champignon autant que pour FdB.
Pourquoi j'essaie d'aider ce connard, moi ? C'était pas vraiment volontaire, c'est juste que... je sais pas, je m'attendais à ne plus jamais avoir de nouvelles de lui de ma vie. Après ce qu'il avait fait, je pensais qu'il disparaitrait. D'autant plus si, comme m'affirmait Champi, il se sentait coupable. Mais au lieu de ça, il m'avait parlé, il m'avait raconté sa vie comme si rien ne s'était passé et qu'on était toujours amis. Ça m'avait trop énervé, et une seconde j'ai été avec lui sur mon canapé ou dans la voiture, sur les marches de son immeuble, et FdB m'insupportait, à traiter son plan‑cul comme de la merde, à être immature, à rien respecter. Il me manquait trop ce sale traitre. Et puis c'était peut‑être qu'une petite phrase, mais pour la première fois depuis que j'étais là‑dedans, j'avais été embarqué dans un dialogue qui n'avait rien à voir avec moi, avec Santorga ou les clones. Champi et Grenade m'aidaient, ils faisaient en sorte que j'aille mieux, que je tienne le coup. FdB le fdp, lui, il me demandait des conseils sur sa love life minable. Juste une seconde, c'est comme si j'avais respiré un autre air que celui de ma cellule. Je voudrais bien lui parler encore, à ce fumier, même si je lui en veux à mort, je voudrais bien qu'il reste dans les parages.
En ce moment je sais pas si c'est la solitude ou le fait d'en avoir parlé avec FdB cet été, mais je repense pas mal à mes potes du lycée. Après ce qui s'était passé j'avais pas eu l'occasion de les revoir une seule fois. On m'avait raconté qu'ils avaient tous fondu en larmes à leur procès quand ils avaient appris qu'on m'avait amputé. J'avais rien dit, mais dans ma tête j'étais dégouté. Quoi c'est ça qui vous fait pleurer ? Que j'ai perdu mes membres à cause d'un streptocoque ? Vous m'avez fait perdre Rahim, les mecs. Vous m'avez fait perdre son visage que j'aimais trop. Et puis ma confiance, l'impression d'être en sécurité, une part de qui je suis, une part de mon caractère... et puis, j'ose le dire à personne mais j'ai perdu mes potes aussi. On s'entendait bien putain, je vous adorais, je pensais qu'après le lycée on resterait unis pour la vie, ha.
Pendant les promenades dans le gymnase, je regardais autour de moi et j'imaginais que je croisais l'un d'eux, ce que je lui disais. C'était pas possible puisqu'ils étaient tous sortis, et de toute manière ils n'avaient pas été incarcérés à Fleury‑Mérogis mais à Poissy. J'aurais bien voulu, n'empêche, les revoir. Parler normalement de nos délires du lycée, de ce qu'on était devenus... Leur dire, allez on efface tout putain, s'il vous plait, la personne pour qui c'est censé être le plus dur c'est moi alors si je suis prêt à tout oublier vous pouvez le faire aussi non ? Mais eux, ils en auraient pas eu envie je le sais. A la mort d'Anthony il y a cinq ans, j'avais hésité longtemps, longtemps, puis j'avais laissé un message sur son profil, mes condoléances, et j'avais ajouté pour les autres que s'ils voulaient parler de quoi que ce soit, j'étais là, même si en vrai c'était moi qui avait besoin de parler. Je me sentais trop mal, traitre par rapport à Grenade à qui je n'avais rien dit, et coupable parce que le chauffard qui avait tué Anthony n'avait pas été identifié, et que Grenade était sorti avec une voiture dépucée ce soir là. Je me sentais trop seul. Au final, personne ne m'a contacté et même, plus personne n'a jamais posté un message après le mien. Peut‑être que c'était mieux comme ça. Moi ça aurait pu m'aider à tirer un trait sur tout ça, mais eux ça aurait ravivé leur mauvaise conscience, les pauvres chéris, fallait qu'ils se reconstruisent. Je suis méchant mais c'est parce que putain, je trouve ça pas juste. J'ai payé une double‑peine. Non seulement ça et ses conséquenses, mes membres, Grenade... mais aussi, j'avais perdu tous mes amis.
La‑dessus, FdB de qui je n'avais aucune nouvelle, débarque de nulle part pour me parler comme si entre nous rien n'était détruit malgré son coup de pute, et ben... quelque part... C'est comme si ça avait tout réparé. Ce p'tit con, il est malin quand il s'y met.
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Illu : 1Kayou
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Kiwi ex machina - seconde partie
Science FictionVictor Carmin a pris une décision. Il doit maintenant faire face aux conséquences. (suite de Kiwi ex machina - première partie)
38. FdB s'est fait jeter comme une merde
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