Agnès laissa échapper son chagrin. Elle éclata en sanglots. Les larmes semblaient ne pouvoir en finir sur ses joues rougies, comme si elles se décidaient à couler jusqu'à leur éternité. Son amie brûlait, son amie mourrait. Elle n'avait pu la sauver... Elle n'avait pu s'inquiéter d'elle. Elle n'avait pu la guérir de son désarroi. Elle se sentait si coupable. Elle se sentait si mal. Il n'y avait plus que le bruit de crépitement du feu lorsqu'un groupe de gardes saisirent ses membres ballants. Elle fut obligée de se lever, le Cardinal la rencontra.

- Ne soyez pas dupe. Ce n'est qu'une sorcière, une créature du diable. La royauté ne pleure pas.

Agnès contempla le Cardinal de Lorraine disparaître. Il savait. Elle était véritablement Élisabeth de France. Mais l'accepter revenait à perdre tout ce qui lui était cher. Elle fut forcée de quitter la cour du château tandis que les images d'une Jeanne souriante et chaleureuse la détruisaient. Lorsqu'elle revint dans ses appartements, Emmanuel Ducoroy l'y attendait. Elle n'offrit aucune résistance. Elle était dépossédée. Le peintre affirma quand ils furent enfin seuls :

- Catherine de Médicis a pris sa décision vous concernant. Vous devez attendre que l'armée catholique lance l'assaut contre les troupes protestantes à Saint-Denis; avant de la rencontrer au château de Fontainebleau. Vous êtes promise à Philippe II d'Espagne. Vous l'épouserez lorsque les affrontements seront calmés.

Agnès se fit la remarque que la soirée n'était pas encore finie. Elle hocha simplement la tête pour satisfaire cet autre père... Cet autre, tout simplement. Il lui attribua un sourire qui n'était que fausseté et se retira. Avant que la porte se ferme, Agnès ordonna que sa femme de chambre lui soit envoyée pour se changer.

- Naturellement – répondit Ducoroy -

La femme de chambre se présenta avec embarras dans la pièce. Elle se précipita pour s'assurer qu'Agnès n'était pas blessée... Mais en vérité, son visage était bouffi, rougeâtre. La tristesse traversait les pupilles de la femme. Agnès se contenta de lui demander de s'asseoir à ses côtés. Elle déposa quelques affaires sur la table de nuit et gagna sa place aux côtés d'Agnès. Celle-ci lui prit les mains. La femme fut surprise de leur aspect glacial, presque frigorifié. Elle posa aussitôt son autre main pour apporter un peu de chaleur. Agnès chuchota :

- Merci pour tout ce que vous avez fait jusqu'ici, Françoise. Je suis désolée de vous le demander, mais j'ai besoin de vous. Une dernière fois.

La femme lui offrit un regard plein de détermination. Elle s'offrait avec allégeance. Agnès se maudissait de ne plus être capable de se satisfaire de ces comportements sincères. Elle se sentait si dépourvue, maintenant.

- S'il vous plaît – reprit-elle – allez chercher deux tasses d'infusion, et proposez les aux gardes devant ma porte en gage d'excuse. Faites leur comprendre ma compassion et ma bienséance. À l'intérieur, mettez-y du poison. Je sais que ce que je vous demande est de l'ordre d'une trahison. Mais j'aimerais que vous empoisonniez ces deux hommes.

La femme de chambre prit un instant à réfléchir, mais il fut vite écourté. Elle accepta, alors que ses yeux à l'éclat brave firent renaître une vague d'émotions chez Agnès. Jeanne aurait pu faire tout autant pour elle. Comment avait-elle pu faillir à la protéger ? La femme s'éloigna tandis qu'Agnès se noyait dans ses songes. Dans son élan, elle exerçait ses dires.

Agnès n'était en présence que pour patienter. Elle devait se haïr d'user de son autorité, d'ordonner de tels actes. Néanmoins, elle se le devait. Il était hors de question qu'elle patiente sagement jusqu'au mariage avec le Roi d'Espagne. Puisque ce qui se jouait dans son cœur... Ce qui n'avait cessé de lui rappeler son désir de vivre... C'était l'essence même de l'amour. Elle voulait retrouver le Duc de Vendôme, se perdre dans ses bras, s'autoriser cette folie à tout renier pour lui. C'était ce qui lui suffisait, et ce qui lui restait. S'il y avait encore le moindre espoir, c'était en lui. S'il voulait encore d'elle, s'il la faisait sienne... Alors il y avait encore une possibilité à ce qu'elle choisisse une vie correcte.

Soudain, un son sourd retentit, il fut suivi d'une porte s'ouvrant maladroitement. Le visage de la femme de chambre affichait de la fierté. Lorsqu'Agnès la rejoignit, les deux gardes étaient à terre, totalement inconscients. Agnès s'élança auprès d'eux pour les ramener à l'intérieur de la chambre. La femme l'y aida et ferma la porte derrière elle, alors qu'Agnès déshabillait déjà l'une des victimes. Elle expliqua tout en se hâtant d'étaler les vêtements :

- Il faut récupérer une armure entière. Vous m'aiderez à me vêtir de la sorte. Je sortirai ensuite, tel un garde, et m'en irai vers les écuries. Là-bas... Je prendrai un cheval pour Fontainebleau.

La femme de chambre étouffa sa crainte. Elle ne put néanmoins s'empêcher de questionner Agnès, alors qu'elle saisissait elle aussi l'armure.

-  Mais il fait nuit, mademoiselle ! C'est bien trop dangereux !

- Je ne peux pas me permettre de partir au petit matin. Si je ne le fais pas maintenant, ce sera pour jamais. Et si nous échouions, mes petits plans naïfs seront toujours contrés. 

- Je le comprends bien, mademoiselle... Mais vous ne connaissez même pas le chemin pour Paris ! Savez-vous au moins monter à cheval ? C'est de la folie !

Agnès s'immobilisa un instant. C'était de la pure folie, en effet... Mais avoir proposé une infusion empoisonnée à deux gardes l'était déjà. Elle n'avait pas pensé que cela puisse être un succès. C'était d'une simplicité telle, que le risque la faisait frissonner. 

Quand elle était petite fille, Emmanuel Ducoroy peignait divers styles. Il fut un temps où il en était encore admirable, épris de géographie. Il entassait d'innombrables cartes, parfois d'une valeur incommensurable, et s'amusait à peindre des figurations. Il s'intéressait aussi aux grandes expéditions. Il s'intéressait à ce monde, à l'inconnu. Mais pour Agnès, le royaume de France lui suffisait. Elle se rappelait encore de sa fascination pour la capitale. Elle avait conscience du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest. Dans ses pensées, le chemin à prendre paraissait des plus logiques. Mais dans la nuit, avec une lanterne et le froid glacial... Cela compliquait grandement ses capacités.

Agnès se ressaisit. Il n'était plus temps de douter. Elle n'avait cessé de piétiner son chemin durant toute sa vie, elle n'avait gagné qu'à faire souffrir des êtres aimés. Elle avait aussi échoué dans ses objectifs. Maintenant que le duc de Vendôme représentait le point central de ses souhaits... Elle n'avait plus qu'à y accéder. Elle affirma à la femme de chambre :

- Allez chercher de la nourriture et de l'eau en cuisine, je vous prie. Je vais m'occuper de ceci moi-même.

La femme de chambre fit ainsi, et Agnès retira une à une les différentes pièces de l'armure de l'homme inconscient. Il se passa un moment où le silence et la solitude lui furent plus bénéfiques qu'elle le pensait... Après tout, elle allait rester un long moment à cheval pour rejoindre Fontainebleau. Elle aura tout le temps souhaité pour se concentrer sur elle-même. Rien que dans ses actions, et envers la femme de chambre, elle manifestait déjà un égoïsme accablant. Mais elle n'y pouvait rien. Elle devait survivre.

Enfin la femme revint, les bras chargés d'un sac comblé de vivres. Agnès lui fit signe de la déshabiller pour qu'elle puisse se charger de l'armure cavalière. Dans le processus, Agnès se surprenait à aimer la lourdeur du métal sur ses épaules. Elle se sentait différente... Peut-être que le renouveau permettrait le deuil. Après s'être totalement munie du costume, Agnès remercia la femme. Celle-ci affichait toujours un visage inquiet, mais il n'y avait guère le temps de se réconforter l'une et l'autre. Elle devait partir. Elle ne se précipitait pas car le deuil de son amie était commencé... Elle se hâtait, car le gout de la vengeance ne devait pas disparaitre. 

 

К сожалению, это изображение не соответствует нашим правилам. Чтобы продолжить публикацию, пожалуйста, удалите изображение или загрузите другое.
L'AgnèsМесто, где живут истории. Откройте их для себя