Bubble Tea

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Cadeau pour KUKIHIME ! ♥

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Tout le monde a une préférence de température. Certains affectionnent les contrées glaciales, d’autres rêvent de terres brûlées, l’immense majorité veulent juste un climat méditerranéen avec un petit mistral pour se rafraîchir à l’ombre. Les sensibilités varient suivant les gènes, l’environnement dans lequel on a grandi, et dans toute cette diversité de l’humanité, Soobin était absolument, fondamentalement convaincu que pas un seul humain ne trouverait l’atmosphère lourde, chaude, et saturée d’humidité qu’il traversait agréable. Il remontait la ruelle le plus vite possible, respirant par la bouche comme si ça pouvait rafraîchir un peu ses poumons. Au lieu de ça, il pouvait sentir avec sa langue l’odeur de l’eau tapissant les pavés, leur vapeur comme un nuage épais nauséabond glissant sur sa peau et collant sa chemise à son torse. L’air stagnant de la ville faisait même remonter des relents des égouts. Le soleil frappait aveuglément le sol, transformant le trottoir infini en un miroir visant précisément sa rétine.

Lui qui pensait que travailler un dimanche était déjà assez pénible.

Parcourant les derniers mètres de son trajet éprouvant, il poussa la porte bleu ciel avec un son de cloche. Résistant à l’envie de tomber par terre de soulagement, il prit une profonde inspiration, l’air recyclé de la climatisation plus revitalisant que la plus pure des montagnes. Derrière la petite vitrine encadrée de décorations pastel et peluches de moutons obèses, la rue cocotte-minute était à peine visible derrière les éclats de lumière reflétés. Soobin soupira, tirant sur son col pour laisser circuler l’air. Si seulement les produits anti-transpirants pouvaient être appliqués sur tout le corps. Il traversa la petite boutique en trois pas, enjambant une table basse pour passer derrière le comptoir. Là, il vérifia rapidement l’état de l’espace étriqué ; les pâtisseries soigneusement alignées, les sucreries traditionnelles bien emballées, la machine pour gérer les ventes déjà allumée à l’abris du regard des clients. Satisfait, il se retourna vers l’encadrement de la porte menant à l’arrière-boutique, le ronronnement d’une machine audible derrière la musique douce murmurée par les enceintes bas de gamme au mur.

« Kai ? Tu peux y aller maintenant, je prends le relais.

– Attends, j’ai juste… Juste ça à faire encore », lui répondit la voix tremblante de son collègue.

Soobin le rejoignit, inquiété par le ton de sa voix. Et effectivement, il était en train de lutter avec un sac de farine qui s’était déchiré en le versant dans un grand mixer. Soobin vola à la rescousse avec un bol pour limiter les pertes, l’aidant à reposer le lourd sac le plus proprement possible sur l’étagère. Kai posa une main farineuse sur son torse, redescendant de sa panique et salissant sa chemise bleu pâle au passage.

« J’ai vraiment cru que j’allais tout étaler par terre, à chaque mouvement ça se déchirait un peu plus…

– Et ça fait longtemps que tu attendais comme ça ? »

Il haussa les épaules, embarrassé, sa main toujours aussi blanche passant dans ses cheveux noirs pour se recoiffer. Le voyant dans cet état, Soobin décida de ne pas insister sur le sujet, et le laissa mettre cet incident derrière lui. Il lui ébouriffa ses cheveux, un nuage poudreux s’élevant de sa tête, et alla chercher le balais avec un sourire.

« Je m’occupe de tout ça, t’en fais pas. C’est aujourd’hui que ce jeu que tu attendais depuis longtemps sort, non ? Vas profiter de ton après-midi.

–  Pas besoin de me le dire deux fois, bye Soobin ! Merci du coup de main ! »

Il récupéra ses affaires en vitesse et sortit dans l’enfer de la ruelle sans un mot de plus. Soobin se mit à nettoyer le désastre, de bonne humeur. Normalement, devoir gérer cet imprévu en plus de la clientèle et la préparation des commandes aurait été suffisant pour lui ruiner la journée, surtout un jour aussi gros que le dimanche, mais il y avait une raison pour laquelle Kai n’avait rien dit en entendant la clochette de l’entrée. Aucun humain n’aimerait  ce temps, et il n’allait pas être confronté à un groupe d’ados désoeuvrés cherchant un endroit où boire quelque chose de sucré. Pour tout dire, il était même convaincu que cette journée n’allait apporter aucun client. Il n’y avait plus grand-chose à cuisiner, le stock de ce matin à peine entamé, et ça s’annonçait être une longue, ennuyeuse journée jusqu’à la fermeture. Au moins, il n’était plus obligé d’être dehors. Chantonnant en chœur avec la voix féminine susurrant une balade dans la boutique vide, il termina ses quelques tâches, tira un tabouret devant le comptoir, et sortit son téléphone pour jouer à un petit jeu où il fallait faire des recettes pour passer le temps. Il ne s’attendait pas vraiment à ça en se faisant embaucher par les parents de Kai pour tenir leur café pendant leur voyage autour du monde. Il s’était dit qu’il ferait quelque chose comme serveur, à prendre des commandes et recevoir des pourboires. Mais au final, il était surtout dans le fond, recevant des ordres de bubble tea de son ami et cuisinant frénétiquement des cheesecakes. Même dans les moments où il était à l’accueil comme ici, c’était beaucoup juste pousser des boutons et demander à quelqu’un d’attendre, ou, pour les interactions les plus excitantes, demander à la personne regardant d’un air perdu les différentes tailles de gobelets si il pouvait l’aider.

Bubble Tea - [Soogyu] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant