Je ne laissai pas paraître ma suspicion. Toutefois, mon regard s'accrocha à la porte, au fond de la pièce. Je pouvais être sûr qu'Adam Olsen serait prêt à me prendre la main dans le sac si je m'emparai de ce revolver à un moment de la soirée. C'était un piège. 

« Laissez-moi vous montrer vos habits. » 

Il ouvrit un placard dans lequel était pendue une robe Empire dont la jupe était assez lâche pour libérer mon ventre et pour le flatter. Le tissu lie de vin était froncé et le bustier était largement brodé avec de petites pierres.

« Ce sont des pierres de Lune. Au cas où vous ne vous en doutiez pas, Milan a prévu de faire passer cet enfant à venir pour le sien ce soir, m'apprit Olsen. 

Je voulus le couper. 

— Faites-le, insista-t-il. 

— Je n'aurai pas froid ? m'étonnai-je. 

— Vous pensez que Milan vous laisserait avoir froid ? » 

Il disparut. 

J'avais eu pour consigne d'apparaître peu avant le dîner, pour surprendre les convives. À mon arrivée, il avait pris ma main, de cette délicatesse qui rendait précieux chacun de ses gestes. Puis il m'avait embrassée sur la joue en me murmurant « tu es belle ». Il m'avait présentée fièrement et je ne savais plus désormais qui se jouait de qui, qui se servait de qui. 

Puis, avant de passer à table, il m'attira contre lui. Nous étions seuls, à la porte du salon. 

« Je me suis trompé, Judith. Tu es splendide. » 

Le dîner me sembla long. Je n'avais pas eu de véritable repas, orchestré, depuis des années. Il m'était difficile de trouver mon équilibre. Je ne devais pas être trop effacée, ma tentation, mais je ne devais pas prendre le pas sur les discussions en cours. 

À vrai dire, ils parlaient de tout sauf de l'accord qui devait aboutir. Les ministres et leurs époux prenaient un malin plaisir à torturer Milan. 

« Vous ne mangez que ça, M. Montmarcy ? Que devons-nous en déduire ? dit une diplomate danoise. 

— J'ai pris l'habitude manger à ma faim seulement, Mme Pedersen. Je ne voudrais pas prendre la part de quelqu'un d'autre, dans cette ville où la nourriture manque tant. 

Elle hocha la tête, certains s'étaient arrêtés de mâcher.  

— Mais je vous en prie, Mme Pedersen, resservez-vous si vous le désirez car bientôt les parisiens mangeront à leur faim eux aussi. » 

Il n'en croyait pas un mot. Les vagues de chaleur, estimées pour le mois d'avril, finiraient de massacrer les récoltes. Seules les vignes tiendraient le coup, pour cette année seulement. Le secteur productiviste, en serre, devrait lui aussi faire face à des remaniements en profondeur. Beaucoup mourraient de faim, dans toute l'Europe. 

On s'intéressa à moi. 

« C'est donc elle, le visage de la campagne de réassimilation de Paris dans l'Europe ? demanda Heiko von der Leyen. 

— C'est le visage de notre avenir à tous, en plus d'être le visage du mien, répondit Milan, souriant tendrement dans ma direction. 

Il était sincère, à ce moment-là. 

 — Entre nous, nous vous appelons Marianne. Quel est votre prénom déjà ? demanda la ministre à l'égalité homme-femme. 

Entre nous.

— Judith », répondis-je doucement. 

Quand les convives furent partis, Milan et moi discutâmes longuement dans le petit salon. Il me caressait les phalanges et il me disait à quel point ce dîner avait été une catastrophe. 

« Je suis heureux que tu m'aies accompagné ce soir, répétait-il. 

— Aucune femme n'a jamais été à tes côtés pour ce genre d'évènement ? 

— Je n'ai jamais eu l'occasion d'y inviter une femme. 

Je voulais lui poser la question, lui demander si j'étais la seule. 

— Il m'est arrivé de séduire mais jamais d'accorder ma confiance. En tout cas, jusqu'à récemment. » 

Le personnel quittait progressivement les lieux. Nous gagnâmes l'étage. 

 

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JUDITH ⎢Gagnante concours Mythes Modernes sur FyctiaWhere stories live. Discover now