Un matin, on ne me banda pas les yeux. On me fit signer une quantité de contrats de confidentialité. Adam Olsen me donna rendez-vous dans le salon blanc aux corniches dorées et me montra divers croquis de mon visage, plissé par mon chagrin ou crispé par la détermination, détendu par l'espoir. Au dos de chaque feuille, se dépliait une écriture ample, aux cursives respectueuses des pleins et des déliés, et que je ne parvenais pourtant pas à lire.

Olsen me tendit un dernier croquis, dont les plis indiquaient qu'il avait été chiffonné, et qui me représentait les yeux bandés. Je détournai vite le regard. La porte claqua au passage de Montmarcy, pressé. Je me forçai à ne pas croiser ces yeux verts, qui m'avaient semblé noisette l'autre soir. L'émotion, sans doute. Il prit appui sur ma chaise pour contempler les dessins, je sentis sa main discrètement s'insérer dans la poche de mon manteau. Un murmure s'échappa de sa gorge et il repartit.

On me libéra en début d'après-midi. C'est avant de pénétrer la bouche du métro que je me rappelai du geste de Montmarcy. Je découvris un morceau de papier plié en deux. L'écriture était la même qu'au dos des croquis : « Retrouvez-moi, seule, sur le pont Alexandre III. À minuit. »

« Les choses vont enfin bouger, Judith. Il faut que tu sois parfaite pour ce soir », déclara Margaux quand je lui fis lire le papier.

Un nœud dans ma gorge m'empêchait de déglutir. Mon amie remuait notre stock de savon, humant les pains qui l'inspiraient. Elle sortit sa vieille trousse de maquillage de son tiroir.

« Margaux, je ne veux pas aller jusque-là avec lui. Je ne suis même pas sûre de vouloir y aller ce soir. Tout ça, c'est ridicule.

— Judith, la décision t'appartient. Tu n'as rien à accepter de la part de cet homme. La seule chose qu'il te faut faire, c'est gagner sa confiance. Tu n'es pas allée jusque-là pour abandonner maintenant. »

À minuit, j'approchais du pont. Margaux avait remontée une de mes mèches à l'aide d'une pince, donnant l'air plus ondulé à mes cheveux. J'étais discrètement maquillée.

Je le voyais bien, les paumes posées sur la balustrade, au-dessus des nymphes de la Seine. Sa nuque prenait une couleur laiteuse, éclairée par la lune. Il se retourna vers moi, arborant un sourire en coin réservé et sincère.

« Je suis navré, c'est un peu grotesque de vous faire venir ici. Je voulais vous voir ailleurs qu'au Luxembourg, rit-il.

Nous nous serrâmes la main. La mienne était si indolente, je la rangeai vite dans ma poche.

— Vous venez souvent ici ?

— Plusieurs fois par semaine », répondit-il.

Il me présenta deux paires de patins à glace détachables.

« Vous voulez descendre sur le quai ?

— Sur le quai ? » hoquetai-je.

Il rit, d'un rire grave et reposé.

Nous marchâmes jusqu'aux escaliers.

« Attention, ça glisse ! » me prévint-il en prenant mon bras.

Nous nous assîmes sur les marches, pour attacher les lanières de nos patins. À vrai dire, j'étais amusée.

Il glissa aisément, en quelques enjambées.

« La dernière fois que j'en ai fait, c'était au Grand Palais ! m'exclamai-je.

— Je n'ai jamais eu la chance d'y aller », me répondit-il.

Il ne se préoccupait pas de moi, il s'évadait dans ses pensées. Soudainement, un grand sourire aux lèvres, il me rejoignit.

« Je vais vous dire deux choses, Judith. Une sur moi, une vous concernant », débuta-t-il, une pointe d'amusement dans la voix.

Ses mots semblaient toujours calmes, surgissant sans peine de sa cache thoracique. Il me semblait que mes mots à moi étaient toujours une torture que je m'infligeais. C'était si difficile que, souvent, je parlais pour moi-même avant tout, pour étudier le son de ma voix, tenter de prendre confiance.

« Tout d'abord, débuta-t-il. Sachez que je n'ai pas cautionné ce qu'ils vous ont fait subir. Ensuite, je voulais vous dire que vous mentiez très bien.

— Pardon ? m'insurgeai-je.

— J'ai vu cet homme tirer son revolver de votre poche. Vous n'êtes pas innocente. »

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JUDITH ⎢Gagnante concours Mythes Modernes sur FyctiaWhere stories live. Discover now