Iel secoue la tête, presque coupable. Presque. Sasha ne déteste pas les animaux, mais toutes les créatures qui peuplent les villes n'en sont plus nécessairement. Parfois, il faut savoir se montrer charitable et abréger les souffrances des êtres dont la vie est une aberration insupportable, non ?

— Quelque chose te contrarie ?

Sasha sursaute. On s'est installé juste en face, sur le siège côté couloir. Iel n'a même pas remarqué son arrivée.

— Pardon ?

Sasha sort de ses pensées comme on tombe de son lit après un cauchemar : dans une confusion mêlée de soulagement.

— Tu secouais la tête comme si tu avais un problème. C'est assez rare de faire cette tête-là le soir de Noël.

Sasha examine l'être qui est venu rompre la malédiction de sa solitude. À première vue, les oreilles sont normales, mais les dents aussi. Dans un joli sourire, les dents. Sous de beaux yeux presque dorés à force de scintiller de bonne intelligence. Et tout ce visage avenant est surmonté d'un horrible bonnet de laine rouge brodé d'un sapin vert tout aussi laid.

Sasha éclate de rire.

— Je dois t'avouer que je préfère te voir comme ça, mais j'ai un peu l'impression que tu te fous de moi, quand même !

— Non, non, pas du tout ! s'excuse Sasha en se redressant et en secouant la tête avec vigueur. Au contraire !

Devant le regard circonflexe de sourcils autant que circonspect qui lui fait face, iel se sent dans l'obligation de poursuivre, mais en confiance, tant cette présence et leur échange qu'iel n'osait plus espérer lui paraissent naturels.

— En fait, j'étais en train de penser à tout à l'heure. Je vais passer Noël avec mes parents, mon oncle et ma tante, et il y aura autour du sapin à peu près tout ce que je déteste. Et je me prenais à rêver aux morts les plus atroces que l'affreux chihuahua de mon oncle avait pu endurer. Et je ne savais pas trop si je faisais preuve de cruauté ou bien de compassion en mettant un terme à la vie de cette misérable créature... Et te voilà sous ton sapin, et je me suis dit que le sapin peut bien être aussi affreux que ce qui l'entoure si ce qui se trouve dessous est aussi...

Sasha s'interrompt. Dans l'emportement de ses confidences, ses mots ont dépassé sa pensée. Ou plutôt sa pensée est allée plus vite que sa volonté pour contrôler ses mots. Iel se sent rougir et plonge des deux yeux vers ses baskets marron. Silence gêné dans le ronronnement du moteur.

— Alors comme ça mon bonnet est affreux ?

Sasha grimace, tandis que le remords l'envahit. Croisant le regard qui lui fait face sans vaciller, iel capte un demi-sourire moqueur et rassurant. Iels pouffent en chœur.

— Pardon...

— Éden. Je m'appelle Éden.

Iel lui tend une main franche que Sasha serre après une timide hésitation.

— Sasha. Moi, c'est Sasha.

— Bonjour, Sasha. C'est un plaisir de te rencontrer.

— Moi de même, répond-iel avant de pouffer de nouveau. Tu prends souvent plaisir à te faire insulter par les gens dans les bus ?

Éden lui adresse un clin d'œil et répond sans lâcher ni sa main ni ses yeux :

— Seulement quand la personne qui m'agresse vaut la peine de souffrir.

Sasha sent son corps se figer. Son cœur bondit et cataclope et se cabre et boumboume et

Après un instant d'éternité, la mécanique familière semble redémarrer à un galop moins chaotique, et Sasha parvient de nouveau à laisser entrer un peu d'air dans ses poumons, qui avaient apparemment pris la pose.

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