Les Liens du cœur - Partie 1

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La neige crissait sous les pas du jeune homme. Il se hâtait dans les rues tourbillonnantes de flocons, sa casquette bien enfoncée sur la tête et ses mains dans les poches de sa veste, tentant tant bien que mal de garder une once de chaleur.

La tempête avait arrêté la circulation, chacun restait bien au chaud à la maison pour se protéger de la neige et du froid. Cependant, le jeune ouvrier voyait de temps en temps passer un courageux attelage dont les pauvres chevaux dérapaient parfois sur le sol glissant, sans jamais tomber pourtant. Il se disait alors ô combien cela devait être pratique de marcher sur quatre jambes.

La neige sur la route n'était plus qu'une bouillasse brunâtre et humide. Il tourna au coin de la rue, pressé de retrouver la chaleur toute relative du trou à rats qui lui servait de foyer.

Alors qu'il accélérait le pas, un éclat doré attira soudain son attention, le stoppant net dans sa marche. Il se pencha vers la vitrine de la petite boutique devant laquelle il se trouvait pour observer de plus près l'objet de sa curiosité. C'était une horloge de belle facture, montée sur quatre pieds dorés, de style rococo.

Il admira le mouvement régulier de la fine trotteuse, constant et immuable. Il avait toujours eu une fascination dévorante pour les mécanismes si précis de l'horlogerie et il rêvait de découvrir leurs secrets. Cependant, il était trop pauvre pour posséder un objet si précieux; les seules horloges qu'il avait pu observer étaient celles des clochers d'églises et la montre à gousset que son directeur sortait de sa redingote quand il était en visite, l'air de dire : « Faites vite, je n'ai pas toute la journée ».

Cette horloge-là était bien plus somptueuse pourtant, toute en dorures et en arabesques scintillantes dans la lueur chaude des bougies.

Une bourrasque faillit emporter sa casquette, le ramenant à la réalité : il était frigorifié, il fallait qu'il rentre au plus vite. Il jeta un dernier regard à l'horloge dans la vitrine puis partit d'un pas rapide, sans se retourner.

Le lendemain matin, quand il sortit de chez lui, une couche de neige immaculée recouvrait les trottoirs. Il enfonça résolument les mains dans ses poches, observant un instant la vie qui s'éveillait dans le petit matin. Son souffle formait des nuages de buée dans l'air hivernal.

Il entama finalement son trajet et Martha, la voisine qui secouait son linge à une fenêtre, fut étonnée de le voir bifurquer sur une rue différente de son habituel parcours. Le jeune homme était en effet réglé comme du papier à musique et tout le quartier ou presque connaissait sa routine quotidienne.

Ce jour-là pourtant, il avait choisi un autre itinéraire. Cette entorse à son règlement très strict avait une raison très simple : ce nouveau chemin qu'il emprunta le mena tout droit à la devanture d'une boutique toute particulière. Sur sa vitrine, des lettres d'or indiquaient aux passants : Chapman and co. - Antiquités.

À la vue de tous trônait dans cette vitrine l'horloge qui avait su attirer son attention la veille au soir. Il put à nouveau l'admirer à sa guise ; il en arriva presque en retard au travail.

Ainsi s'appropria-t-il de nouvelles habitudes. Il partait plus tôt de chez lui et rentrait plus tard, passant de longues minutes à observer l'horloge. Bientôt, il en connut tous les détails, du petit angelot assis sous le cadran aux nombreuses fleurs qui en décoraient le pourtour. Il ne se lassait pas d'en admirer la beauté et, si le froid ne l'en avait empêché, il serait resté bien plus longtemps absorbé dans sa contemplation.

L'hiver et sa cape gelée laissèrent place au printemps : dans les parcs, les arbres bourgeonnaient et les températures redevenaient supportables. Partout les gens enlevaient une couche de vêtement, les grandes dames bourgeoises sortaient au bras de leur mari, à l'abri de belles ombrelles tout en dentelle.

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