La musique des sphères (Nicolas Chapperon)

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 Nicolas Chapperon nous invite à découvrir la post-humanité, dans un futur si éloigné que nos descendants, métamorphosés par la technologie et la génétique, n’ont plus grand-chose à voir avec nous. Disséminés dans un univers qui semble ne pas avoir de limite, la solitude est désormais le lot de ces voyageurs de demain.

La musique des sphères (Nicolas Chapperon)

Phyllis émergeait petit à petit d’un long sommeil. Son programmateur musical interne lui avait choisi une sonate à la flûte qui déversait des notes printanières directement dans son esprit. La douce chaleur des rayons solaires caressait sa peau couverte de cellules photosynthétiques. Lorsqu’elle fut tout à fait éveillée, Phyllis fit le point sur sa situation. Son niveau d’énergie restait encore faible mais suffisant pour lui permettre de se maintenir en mode actif. L’étoile vers laquelle elle se dirigeait brillait d’une intense lumière indigo. Sur tout son corps, Phyllis sentait la force d’un flux extraordinaire de particules. Elle avait atteint, comme prévu, le voisinage d’une étoile de type Wolf-Rayet. Ce genre d’astre émettait un vent stellaire très puissant et riche en atomes indispensables à la vie, mais rares dans les espaces intersidéraux, comme l’oxygène, l’azote ou le carbone.

Phyllis entreprit de remonter le courant de particules pour se rapprocher de l’étoile et capter plus d’énergie. Comme toujours au réveil, elle avait faim, très faim. Dans le vide intersidéral, son corps ne subissait que peu de dommages ; néanmoins quelques réparations étaient parfois nécessaires, à la suite de collisions avec des microparticules. Dans ce but, certains atomes se révélaient utiles, voire indispensables. Phyllis ouvrit ses bouches pour en absorber un maximum.

Lorsqu’elle se sentit rassasiée, elle décida de profiter de la force du vent pour s’amuser un peu. Au son d’un rock entraînant, elle déplia ses ailes gigantesques et se lança dans un enchaînement de virages serrés et de figures, loopings et boucles. Elle sentait les flots d’atomes heurter chaque parcelle de sa peau, comme une douche revigorante. Grisée par la vitesse, elle riait comme une enfant.

Le jeu finit par la lasser et la fatiguer. Inutile de gaspiller toute l’énergie qu’elle venait d’accumuler. En écoutant des chants d’oiseaux enregistrés, elle replia ses ailes et se plaça sur une trajectoire elliptique qui la rapprocherait de l’astre. Il était temps de consulter sa mémoire de veille, celle qui enregistrait tout pendant que Phyllis sommeillait, durant son long voyage intersidéral. Elle avait dormi deux cent cinquante années terrestres depuis la dernière étoile.

Elle s’en rendit compte encore une fois : le nombre de messages qu’elle recevait diminuait lentement mais inexorablement au fil des siècles. Était-ce un signe du déclin dont elle entendait souvent parler ? Certaines de ses plus proches amies n’avaient pas donné signe de vie depuis un ou deux millénaires. Avaient-elles été victimes d’une collision avec une météorite ? Ou avaient-elles plongé dans un soleil pour mettre fin à une existence à laquelle elles ne trouvaient plus de but ?

Phyllis ne se sentait pas suicidaire même si elle y avait déjà pensé. Sa vie d’errance intersidérale lui semblait parfois monotone, au rythme des réveils auprès d’astres bien peu différents les uns des autres. Les nébuleuses colorées des nurseries d’étoiles, l’éclat aveuglant des supernovas ne l’émerveillaient plus autant qu’avant.

Elle disposait dans sa mémoire rémanente de toutes les connaissances accumulées par l’Humanité depuis ses origines, à l’époque lointaine où ses ancêtres marchaient encore sur leur unique planète en rêvant à des cieux inaccessibles. Elle aimait se promener au hasard dans cette bibliothèque sans fin, surtout dans les rayons virtuels consacrés aux arts et à la musique. Même si l’adaptation à la vie dans le grand vide avait privé les humains de leur ouïe et modifié leurs autres sens, ils pouvaient encore se projeter des images ou percevoir des sons dans leur cerveau. Sans cela, le silence éternel de l’espace infini eût été trop effrayant.

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