Les enfants de nos enfants (Southeast Jones)

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 Évolution ? Peut-être est-ce là que réside le plus grand challenge de l’Humanité. Southeast Jones nous propose dans cette nouvelle de découvrir comment les enfants de nos enfants vont relever ce défi. Pour achever cette anthologie sur une histoire du futur à l’échelle humaine, donc sans limite.

Les enfants de nos enfants

I – L’impasse

— Il y en a encore eu un cette nuit docteur, monsieur Leroy est dans la salle d’attente et désire vous voir… et il n’est pas tout seul.

Henri Milan soupira. La cadence s’accélérait, cent quinze l’année dernière, le mois de mars débutait et il y en avait déjà soixante-sept.

— Merci Rosy, dites-lui que je vais le recevoir.

Il ouvrit la porte du cabinet, hésita un instant devant son état délabré : un vieux bureau fatigué, quatre chaises en cuir craquelé de toutes parts, une balance à l’ancienne, une armoire à pharmacie trop petite, trop peu fournie, un ordinateur et seule concession à l’exercice de sa fonction, un électro-encéphalogramme modifié. Enfin, il entra. Il y avait de moins en moins de crédits pour les médecins comme lui, il jouait d’ailleurs moins les thérapeutes que les psychologues. Bien sûr, chaque jour apportait son lot de petits bobos, de temps en temps une mauvaise grippe ou une fracture ; mais force lui était de reconnaître que dans l’ensemble, la population à cinquante kilomètres à la ronde jouissait d’une santé insolente. La clinique employait quinze personnes dont cinq vivaient en permanence dans ce qui ressemblait vaguement à un appartement attenant au bâtiment, toutes étaient sous-payées. C’était de braves gens et leur travail tenait plus de la profession de foi que du désir de s’enrichir. À la ville, ils auraient été contraints de faire appel à l’aide sociale. Le cabinet sentait bon le café frais. Rosy est toujours aux petits soins avec moi, pensa-t-il. Qu’allait-il faire lorsqu’elle prendrait sa retraite ? Ça devait lui faire dans les cinquante-quatre, cinquante-cinq ans…

Il ouvrit le classeur sur le bureau et prit connaissance du rapport de la nuit. La petite Amalthée avait fait une indigestion, deux ou trois fièvres légères dues à des poussées de dents… Il arriva au point important, « 22 heures 15, l’alarme du sas d’abandon s’est enclenchée, Joseph en a extrait un bébé d’environ deux mois, l’âge limite. Aucun moyen d’identification, l’enfant semble en excellente santé ». Milan se frotta les yeux comme pour évacuer un peu la lassitude qui l’envahissait, il dormait mal ces derniers temps, il devenait de plus en plus difficile de trouver des familles d’accueil. La plupart de ces pauvres gosses termineraient vraisemblablement dans un quelconque orphelinat. Deux cents ans après la guerre nucléaire, les idées préconçues avaient encore la vie dure et beaucoup associaient encore mutation et radioactivité. La viabilité des nouveau-nés était quasi nulle, les plus résistants souffraient de difformités diverses et de stérilité… mais pas tous. C’est vers cette époque qu’étaient nés les Comités d’Épuration. Des centaines de milliers de personnes avaient été « nettoyées » au nom de la protection de l’espèce ; les choses avaient pris des allures de guerre sainte quand une nouvelle secte, « l’Église de l’humanité du Christ », était parvenue à s’infiltrer dans plusieurs unités. D’abord très localisé, le phénomène était devenu mondial et en quelques années on avait vu fleurir un peu partout des camps d’internement où les présumés impurs étaient examinés sans ménagement. Il ne faisait pas bon être aveugle, sourd, muet ou simplement souffrir d’un handicap, si mineur soit-il. Les espions des C.E. avaient des yeux partout. Les dénonciations allaient bon train car ils offraient protection et nourritures aux « Bons Humains ». Milan pensait sincèrement que les différents chefs d’État avaient donné l’ordre de laisser faire, une manière comme une autre de résoudre un problème délicat tout en s’en lavant les mains. Mais tous les hommes n’étaient pas des monstres, ils étaient de plus en plus nombreux à protester, voire à prendre la défense des persécutés. On en vint d’abord aux coups puis ce fut l’escalade, des Unités de Protection s’opposèrent aux C.E. les armes à la main, chaque affrontement faisait des dizaines de victimes dans les deux camps. Le monde entier était en train de faire sécession, les gouvernements furent obligés de réagir.

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