Rencontre

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Ca faisait une dizaine d'années qu'elle était ici. Elle y était bien, maintenant, et savait qui éviter. Elle restait la plupart du temps dans sa chambre, accompagnée d'elle-même, et ne rencontrait, à dire vrai, que le personnel du Burghözli. Mais aujourd'hui, elle était anxieuse. Car, pour la première fois, aujourd'hui, elle allait recevoir de la visite. Apparemment, Mileva et son mari, qu'elle connaissait de réputation, voulaient répondre au souhait de leur cadet à la connaître. Elle, qui était tranquille dans sa petite vie reclue, appréhendait cette rencontre. Mais elle ne pouvait pas annuler, donc alea jacta est.

Elle attendait, sur sa chaise, sans rien faire. Elle attendait, sur son lit, sans bouger. Elle attendait, hésitante et impatiente à la fois. Puis vînt l'heure des visites.

Elle vit sa soeur, de loin, et s'approcha lentement. Elle n'avait guère changé depuis tout ce temps. Et puis elle le remarqua. Un enfant, tout petit, se tenant en retrait, l'air gêné. Elle salua sa soeur, les pensées et les yeux totalement rivés sur l'enfant se tenant derrière sa mère. « Aller Tete, dis bonjour. ». Il s'avança, et osa enfin la regarder dans les yeux. Ce fût immédiat.

Instantannément, elle ressentit le lien qui les unissaient, elle et Tete. Elle le ressentait au fond des yeux de l'enfant, âgé tout au plus de cinq ans.Elle resta comme ça, à le fixer, et lui aussi ne pipait mot. Mileva les regardait à tour de rôle, étonnée. « Ca va ? Un problème ? ».

Zorka secoua très légèrement la tête. Non, bien sûr que non. Elle était comme... légère. Soulagée d'un poid. Elle se baissa, pris l'enfant à bout de bras et le souleva à hauteur de visage. Dans ses yeux brillait une intelligence à découvrir, ainsi qu'une malice et un émerveillement sans conteste. Il se laissait faire, un sourire sur le visage. « Toi, je t'aime bien beaucoup ! » s'écria-t-il. Elle sentait les larmes monter, et pour les cacher, elle serra l'enfant contre elle. Mileva, ébahie, allait intervenir lorsqu'elle vit les larmes de sa soeur couler sans retenue. Alors elle s'approcha et frotta le dos de Zorka dans un signe de réconfort.

* * *

Elles discutaient, de la vie de Mileva, du monde en général, de tout et de rien, mais surtout de tout. Zorka était complètement apaisée. Elle avait sur les genous Eduard roulé en boule, endormi, respirant d'un souffle faible mais régulier. Elle sentait son poids, sa chaleur, les battements de son coeur. Tandis qu'elle parlait, elle caressait légèrement Eduard, comme un animal. Elle n'aimait pas les gens, mais adorait les animaux. Et voilà que son neveu était tout comme un petit animal sauvage, avec lequel elle ressentait quelque chose qu'elle n'avait jamais ressentie. Une sorte de complicité, de reconnaissance. Cela lui donnait le tournis.

* * *

Lorsqu'ils durent partir, Mileva réveilla son fils, et ils sortirent tout deux après une dernière étreinte. Zorka allait refermer la porte, lorsqu'elle entendit une voix enfantine demander : « On pourra revenir la voir ? Dit ?... ». Les larmes coulèrent à nouveau, soulageant une peine qu'elle ne pensait pas avoir.

Zorka EinsteinWhere stories live. Discover now