Chapitre 2 : Le spectre d'Amesbury

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Je regrettai que John n'ait pas pu voir cela. C'était notre dernier jour à Amesbury ; nous repartions en Écosse le lendemain matin. Pourtant, je devais absolument lui montrer.

La nuit tombée, alors que tout le monde avait les yeux fermés, je me glissai hors de mon lit, enfilai ma robe de chambre et m'approchai de mon frère qui dormait dans la même pièce.

— John, murmurai-je.

— Oui ? interrogea-t-il à mi-voix.

— Lève-toi, il faut que tu voies quelque chose.

Il bailla à s'en déchirer la mâchoire, tout en se redressant.

— Quoi donc ?

— Quelque chose d'exceptionnel ! Demain, il sera trop tard.

John sortit de son lit.

— Prends ta robe de chambre, cela devrait suffire, lui conseillai-je.

John et moi quittâmes la maison, en prenant soin de faire le moins de bruit possible, en veillant à enjamber les marches grinçantes de l'escalier. Nous avions les pieds nus, ce qui nous permettait d'être beaucoup plus discrets. Nous nous retrouvâmes rapidement à l'extérieur, sans autre difficulté que celle de lacer les chaussures de mon petit frère dans la pénombre. L'air était frais, un peu trop frais pour nos vêtements de nuit. John me le fit remarquer.

— Alors, courons ! Cela nous réchauffera.

Nous parcourûmes les rues désertes du village, pour rejoindre la sortie ouest. Le soleil était couché, mais la lune éclairait nos pas. John finit par s'arrêter, essoufflé.

— C'est encore loin ?

Nous venions de passer devant les dernières maisons d'Amesbury.

— Nous en sommes à la moitié. Mais on commence à l'apercevoir.

— Apercevoir quoi ?

— Regarde, là-bas. Ces gros blocs de pierre. Tu les vois ?

Les silhouettes des monolithes se découpaient devant les reflets orangés du ciel.

— Oui, je crois.

— C'est beaucoup plus impressionnant, de près. Allez, John. Jamais arrière.

En citant la devise familiale, j'espérais redonner du courage à mon petit frère.

Nous effectuâmes le reste du chemin en marchant. Le temps d'arriver devant Stonehenge, et la nuit nous enveloppa de son sombre manteau. Au-dessus de nos têtes, des masses nuageuses allaient et venaient devant l'astre lunaire réduisant ainsi la possibilité d'admirer le site mégalithique. Pour ne rien arranger, la brume ne tarda pas à se lever.

— On n'y voit rien du tout.

— C'est plus impressionnant de jour, je le reconnais. Mais ne ressens-tu pas quelque chose d'étrange, ici ?

— Ce ne sont que de vieilles pierres. Elles sont immenses, c'est vrai. Il ne faudrait pas que l'un de ces blocs nous tombe dessus.

— Ne t'inquiète pas ! répondis-je en m'appuyant sur le monolithe le plus proche. Cela n'a pas bougé depuis des milliers d'années.

— Charlie ! dit John en baissant brusquement la voix. Qu'est-ce que c'est que ça ?

Je me retournai et regardai dans la direction indiquée par mon frère. Face à nous, à quelques centaines de pieds, la brume se teintait de bleu et se mouvait dans l'espace formé par un trilithe. Le nuage devint complètement opaque puis s'évapora en quelques instants. Tout était redevenu comme avant. À l'exception près de la présence d'une silhouette, à l'intérieur du cercle de pierres. Une silhouette humaine, blanchâtre. La faible lumière lunaire frappait son visage, ce qui nous permit de le distinguer. Il s'agissait d'un homme, au teint pâle. Ses yeux bleus brillaient dans la nuit. Sa figure émaciée indiquait un âge avancé, de même que sa tignasse argentée. L'homme examina les alentours, comme s'il découvrait le lieu.

— Je croyais qu'il n'y avait pas de fantômes en Angleterre, me chuchota John à l'oreille d'une voix tremblante.

Ce n'était pas un fantôme. Ce ne pouvait pas en être un. Cet être ne ressemblait en rien aux spectres qui hantaient les châteaux écossais. Il portait des vêtements grisâtres et un foulard rouge sang autour du cou. Ce n'était pas un fantôme, c'était... autre chose.

Il tourna la tête dans notre direction. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Je me camouflai aussitôt derrière le monolithe et John fit de même. Nous avait-il remarqués ? Après quelques instants, je risquai un regard, et je l'aperçus qui marchait lentement vers nous. On aurait dit, à la pâleur de son visage et à ses yeux cernés, que cette chose n'était qu'à moitié vivante. Ce qui était certain, c'est que je n'avais pas envie d'avoir davantage de contact avec cette créature. Il fallait prendre une décision. Rapidement.

— COURONS ! m'écriai-je.

Et je détalai. J'avais tellement peur que la lâcheté m'avait fait abandonner mes responsabilités d'aîné : j'étais parti sans me soucier de John. Au bout de quelques foulées, je me retournai pour m'assurer que mon frère me suivait bien. Je constatai avec soulagement qu'il était sur mes talons. Mais cela ne dura pas.

— Charlie ! Arrête-toi ! dit-il.

Il était penché en avant, mains sur les genoux, et peinait à respirer. Derrière lui, la silhouette fantomatique progressait, le pas lent.

— John, ça va ? lui demandai-je inutilement.

Je regardai à nouveau par-dessus son épaule. L'homme avait disparu.

— Si tu ne peux pas courir, essaye de marcher, ça ira mieux.

Un très bref éclair de lumière bleu attira mon attention juste derrière mon frère. Le spectre venait de surgir de nulle part. Il n'avait jamais été aussi proche. Un sourire maléfique s'afficha sur son visage.

— COURS !

Mon frère avait dû sentir l'urgence de la situation dans ma voix, car il dépassa ses limites et se remit à courir. À partir de ce moment, nous filâmes tout droit sans nous retourner. La peur décuplait nos forces et notre endurance. Nous ne nous autorisâmes à nous arrêter qu'une fois parvenus dans l'enceinte de la propriété du cousin William.

StonehengeWhere stories live. Discover now