OCTOBRE

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« Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus; il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu » - Apocalypse 21:4 , Bible

J'ai redouté ce jour les douze mois qui l'ont précédé. Enfin, je ne savais même pas si je l'atteindrais avec un coeur toujours battant. Lorsque le premier octobre s'est annoncé sur les journaux, j'ai commencé à me ronger les ongles dans la cuisine, restant assis sur l'un des tabourets, les mains croisées au-dessus de mon café froid. Pendant si longtemps, j'ai cru ne jamais revivre un vingt-quatre octobre. Pourtant, le sept a été proclamé à la radio, puis le dix-neuf, et le vingt-trois. J'ai fermé les yeux, pour les rouvrir à cette date maudite. Allongé dans mon lit, je suis resté étendu au milieu des draps pendant des longues minutes, le regard fixé sur les ombres collées au plafond. Les phares des voitures passant dans la rue dessinaient des fantômes sur les murs. Puis, le jour s'est levé, timidement. C'est comme si le soleil montait à reculons dans le ciel. Deux petits coups contre ma porte, un silence.

- Je sais que tu es réveillé, me dit la voix étouffée de ma soeur.

Je n'ai pas la force de lui répondre. Je ne sens plus mes cordes vocales, c'est comme si elles n'avaient jamais existé. Je ne me souviens même plus du son de ma propre voix.

- Je suppose que tu préfères rester seul mais...

- Alors pourquoi est-ce que tu viens me faire chier Maja ? Ai-je soudainement crié.

La porte s'ouvre à la volée.

- Merde Antarès, ça suffit ! Arrête de me hurler dessus dès que je veux t'aider, arrête de me traiter comme de la merde alors que je suis ta soeur putain ! Je sais que tu souffres, je sais que tu as mal, mais moi aussi j'ai mal bordel ! Tu crois que ça a été facile pour moi ? C'était mon ami, presque un frère. Et puis, j'ai tout quitté pour toi ! J'ai tout lâché pour te sauver, et voilà la façon dont tu me remercie ?

Elle tremble de rage, quelques larmes noires tracent des sillons sur ses joues rosies.

- Je ne t'ai jamais demandé de me suivre, répondis-je calmement.

- Non mais tu te fous de ma gueule ?

Maja tire ses cheveux blonds, souffle fort avant de laisser tomber ses bras le long de son corps mince.

- Tu sais quoi ? T'as gagné. Je rentre à la maison, j'en peux plus. J'ai fais tout ce que j'ai pu mais tu ne veux pas qu'on t'aide Antarès. Tu ne veux pas être sauvé mais tu as trop peur de mourir. Et j'en ai ma claque d'essayer de te redonner goût à la vie alors que tu t'évertues à la rendre pire qu'elle ne peut l'être. Je ne sais pas ce que tu veux et je pense que tu ne le sais pas non plus.

Elle tourne les talons, dévale les escaliers. Je l'entend s'affairer en bas, jeter des objets, pleurer un peu.

C'est à ce moment que je me rends compte que moi aussi, je pleure.

*****

Jusqu'où la douleur peut-elle aller ? A-t-elle des limites ? Puis-je souffrir plus que ça ? Plus que cet univers de pierres dans ma poitrine, plus que ces larmes qui craquellent ma peau, plus que ma gorge qui est incendiée par mes cris, plus que mes poumons qui ne savent plus comment consommer l'air ? Je suis épuisé. Fatigué d'avoir si mal. D'être si seul. De ne plus savoir vivre comme avant. Maja, la thérapie, Orion, les livres, Dieu. Aucun d'eux ne parvient à me relever. Ils me tendent leurs mains mais dès que je frôle leurs doigts, ils s'échappent, traversent mes os, disparaissent. Je me retrouve seul, au fond de mon coeur, cité réputée imprenable. Me voilà assiégé par mon esprit dérangé, Roi de Sparte. Mes pensées noires m'encerclent, elles attendent patiemment que je me dessèche afin de pouvoir dévorer ma chair maudite. Car j'ai péché, j'ai commis un crime dont le prix est bien trop élevé pour que je puisse le supporter une seconde de plus. Je veux m'en délivrer. M'allonger sur le sol, me fondre dans les lames du plancher. Peut-être que si je me cache, la douleur ne me trouvera pas. Peut-être que si je meurs, elle ne me suivra pas.

AntarèsWhere stories live. Discover now