FÉVRIER

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Les gens vivent dans des cases. Ils portent le même prénom que des milliers d'autres, se voient attribuer des numéros toute leur vie. Ils ne peuvent pas se cacher, ils ne cherchent même pas à le faire. Les gens ne possèdent rien mais ils s'attachent à des valeurs qui n'ont même pas de véritable sens. Ils ne se comprennent pas, se détestent, croient s'aimer. Ils veulent être différents pour faire comme tout le monde. Des ambitions friables, des personnalités inexistantes, de l'ignorance omniprésente. Ils ont peur de tout. Peur de perdre, peur des autres, peur d'avoir mal, peur de la mort.

Uppercut. Crochet du gauche. Genoux à terre. Salive carmin sur les lèvres. Mes dents qui claquent.

-         Plus fort, articulais-je entre deux coups.

Mon souffle se coupe lorsque le garçon en face de moi m'enfonce son poing dans l'estomac. Il me pousse en arrière et ma peau s'écorche au contact du bitume glacé.

-         T'as peur de me faire mal ? Le nargué-je en ouvrant difficilement mon oeil droit.

Il pousse un grognement. Mes vaisseaux sanguins explosent, ma peau devient multicolore. Mes os craquent, ma raison se fissure. Mon cœur me frappe, je ressens quelque chose. Ma respiration est sifflante, peut importe ce qu'il y aura après, je ressens quelque chose. Je ne suis plus un monstre. Mes lèvres se déchirent tandis que j'esquisse un sourire. Mon adversaire me brise un peu plus, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien d'autre que des morceaux fracturés de moi.

*****

-         Je ne sais plus quoi te dire.

Maja désinfecte les plaies qui marbrent ma peau de rayures rougeâtres.

-         Je ne veux pas me faire un jour réveiller par un coup de fil des flics me disant que mon petit frère est mort, est-ce que tu peux rentrer ça dans ton putain de crâne ?

Sans rien dire, je la regarde s'énerver, du coton entre ses doigts pâles.

-         Je ne veux pas avoir à me rendre à la morgue pour identifier ton corps déformé par les coups, tu le comprends ça ?

Elle saisit la bouteille d'alcool à 90 degrés pour humidifier une compresse.

-         Non, je ne veux pas. Je ne supporterais pas de te perdre toi aussi. S'il te plaît, arrête ces conneries.

Maja ne bouge plus. Elle a planté son regard d'acier dans le mien, fronçant légèrement son nez. Doucement, elle murmure:

-         Tu dis que tu ne mérites pas de mourir, que tu dois vivre avec cette douleur le plus longtemps possible. Qu'il n'y a que cette souffrance qui aura raison de toi. Mais tu te suicides un peu plus à chaque coup que tu acceptes de recevoir. Alors Antarès, que veux-tu ? Vivre, ou mourir ?

Un silence nous entoure presque tendrement, comme s'il laissait place à tous ces non-dits, ces prières informulées.

-         Etre sauvé.

*****

C'est la même chose à chaque fois. Cette honte qui fait trembler mes membres, cette colère qui fait grincer mes dents, mon corps tout entier qui s'agite. Je passe la porte du cabinet, les ongles enfoncés dans les paumes. Je serais prêt à détruire l'univers s'il le fallait.

Je relève la tête et m'aperçois d'une scène plutôt amusante qui se joue à quelques mètres de moi. Quelque chose qui va me divertir. Je rejoins les deux protagonistes en quelques foulées et arrache un petit objet des mains d'une fille, Nysa.

AntarèsWhere stories live. Discover now