Chapitre 8 - Implosion (Partie 2)

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Une fois dans ma chambre, je prépare une valise. Impossible de réfléchir, mon cerveau est envahi par les images maudites. En boucle. Elles m'oppressent. Je ne peux accepter cette réalité. Elle est en totale contradiction avec ce que j'ai vécu depuis mon retour. J'entends la porte s'ouvrir dans mon dos. Je sais que c'est Angie. Je dois la repousser. Durement.

— Laisse-moi tranquille, Angie. On n'a plus rien à se dire.

— Tu te trompes. Moi, j'ai beaucoup de choses à te dire.

— Je n'ai aucune envie de les entendre. Je vais partir. Tu peux rester ici.

— Non !

Le temps de me retourner et je sens ses bras m'enlacer du plus fort qu'elle peut. Je refuse de faire le moindre geste. Je ne peux pas la toucher. Je ne peux pas la repousser.

— Lâche-moi, Angie, s'il te plaît.

Ma voix n'est qu'un murmure. Et la sienne n'est guère plus vaillante :

— Tu es sous le choc, Jordan et c'est bien normal. Je ne minimise pas ce qui s'est passé. Mais la situation est complètement différente et je sais que cela ne se reproduira pas.

— Tu ne sais rien du tout. C'est déjà ce que tu as dû te dire la première fois, non ?

— Promets-moi que tu vas prendre le temps de réfléchir. Reste avec moi.

— Non.

— Juste cette nuit. Demain, tu feras ce que tu veux. Promets-moi.

Je me sens raide comme un piquet. Il faut qu'elle me lâche. Pourtant, je ne ressens pas de pulsion violente à son égard. Je suppose que je ne suis pas un danger pour elle dans l'immédiat. Et puis, j'ai besoin de réfléchir à tout ça. Calmement. Je finis par capituler :

— D'accord.

Elle me lâche avec réticence et je me tourne vers elle.

— Je vais prendre le temps de réfléchir à tout ça. Je te demande de me laisser et de ne pas revenir dans cette chambre. Demain matin, j'aurai pris une décision.

— J'aimerais qu'on en discute avant que tu prennes une décision.

— Non. C'est ma décision et ce n'est pas négociable.

Après une hésitation qui me semble durer des siècles, elle quitte la pièce avec un dernier regard noyé par un désespoir contre lequel je ne peux rien faire.

***

La journée est passée. Je n'ai pas bougé de mon lit. Tantôt position fœtale quand je m'apitoie sur mon triste sort, tantôt sur le dos quand j'essaie de trouver une porte de sortie honorable à cette situation lamentable. Je ne vois pas d'autre issue qu'un départ. Je ne pourrais plus jamais la regarder en face. Comment j'ai pu faire ça ? Comment j'ai pu lui faire ça à elle ?

Elle a raison. Je ne supportais plus la pression de mon entourage. Et encore moins ma lâcheté ! Surtout pas ma lâcheté... J'aurais dû l'imposer comme ce qu'elle était : la femme de ma vie. Aujourd'hui, je suis seule. J'ai coupé les ponts avec ma mère, je n'ai pas d'amis, plus de collègues. Toutes ces personnes ne manquent pas à ma vie, ne me manquent pas. Mais je me rends compte que j'étais déjà très seule à l'époque. Personne à qui me confier, personne pour me soutenir dans mes choix. Je n'avais qu'Angie et j'ai bien failli la détruire...

Je n'arrive pas à me projeter dans l'avenir avec elle. Chaque fois que je pense à elle, je revois ces maudites images dans ma tête. Et j'en pleure ! Comme si chaque coup donné m'arrachait le cœur...

***

La nuit est tombée et je n'ai toujours pas quitté ma chambre. Aucune envie de la croiser, de lutter entre mon envie de la toucher et la peur de lui faire du mal. Ma décision est prise, je vais partir. Je passe un moment dans la salle de bains et en ressort en avec mon short et mon t-shirt de nuit.

Je m'arrête dans l'encadrement de la porte. Elle est là, assise en tailleur sur mon lit ! J'évite son regard et je tombe sur un plateau qu'elle a amené.

— Tu ne devrais pas être là, Angie !

— Te laisser mourir de faim ne changera rien à la situation.

— Je n'ai pas faim.

— Peu importe. On réfléchit mieux le ventre plein.

— C'est tout réfléchi.

— Sans me demander mon avis ? Cesse de faire l'enfant et regarde-moi, Jordan !

Surprise par le ton quelque peu agressif, je rencontre son regard déterminé. Elle semble avoir perdu de sa réserve et de sa timidité. Il est possible que j'aie besoin de quelques forces pour imposer mon point de vue. Je m'assieds donc en tailleur également face à elle et j'entame du bout des lèvres le sandwich jambon beurre qu'elle m'a concocté. Son sourire en coin me rappelle que ce n'est pas un hasard : elle sait que j'adore ça !

Je prends conscience de la réalité de l'adage : l'appétit vient en mangeant ! Angie de son côté me dévore des yeux. Je réalise qu'elle porte sa nuisette sous son peignoir. Ses intentions sont claires pour moi. Et c'est hors de question !

Elle ne parle pas. Elle se contente de réchauffer mon cœur par un sourire adorable. Réflexion faite, mon corps, lui non plus, n'est pas insensible à sa présence. Nos yeux se parlent avec une infinie tendresse. L'instant est hors du temps.

Elle finit par déposer le plateau à terre et déclarer mine de rien :

— Il est temps de dormir.

Alors qu'elle se lève pour enlever son peignoir, je la rejoins précipitamment pour arrêter son geste. Je déglutis quand je touche sa main malgré moi. L'envie de l'enlacer m'agresse violemment et me coupe le souffle. Je ferme les yeux et je sens sa main qui caresse ma joue. Je recule :

— S'il te plaît, Angie. Ne joue pas à ça.

— Je ne joue pas. Je veux juste dormir avec toi.

— Ce n'est pas possible.

— Bien sûr que si. Regarde-moi. J'ai confiance en toi. Tu es la Jordan d'hier, la Jordan que j'attendais et qui a émergé avec ton réveil. Tu n'as pas le droit de m'en priver. Je l'ai attendue trop longtemps. J'ai trop souffert en l'attendant. Tu n'en as tout simplement pas le droit.

Je ne sais vraiment pas quoi faire quand elle m'assène le coup fatal :

— Je ne suis pas folle, Jordan. Ni masochiste. Je me rappelle de chacun de tes coups, de chaque douleur, plus forte que la précédente. Mais la somme de toutes ces douleurs n'est rien face à ce que je ressentirais maintenant si tu me rejetais. Si la Jordan de maintenant me rejetait.

Je suis suspendue dans le vide, je refuse d'ouvrir les yeux. La sécurité et la solitude ou le risque et l'espoir. Elle m'a piégée avec beaucoup de talent : je ne peux pas la rejeter. Comme si elle avait senti mon renoncement, elle s'approche lentement, pose une main sur ma hanche, puis l'autre, et ses bras glisse tout doucement vers mon dos jusqu'à m'enlacer. Après une éternité d'hésitation, je pose précautionneusement mes mains sur ses hanches. Elle dépose un baiser sur ma joue et pose sa joue contre la mienne. Quand je sens ses larmes de soulagement, je ne peux m'empêcher de déposer à mon tour un baiser sur sa tempe. Ses larmes sont devenues de légers sanglots et je ne sais comment réagir. Je l'enlace à mon tour. Elle se calme peu à peu.

Alors qu'elle me tient fermement, comme si elle avait peur que je lui échappe, elle pousse son avantage :

— Je veux dormir avec toi cette nuit, Jordan.

Voyant que je ne dis rien, elle me lâche pour s'allonger de son côté du lit sous la couette. Comme je ne bouge pas, elle ouvre le lit de mon côté.   

La roue du destin - Coma !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant