Le carrefour du soldat mort

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Chouette ! Un boche en moins !

J'ai toujours détesté les boches. C'est à cause d'eux qu'il y a la guerre. C'est à cause d'eux que mon père a disparu. J'espère seulement qu'il n'est que prisonnier et qu'il reviendra au printemps pour botter le cul des Allemands.

Au bout du chemin de la Bergerie, y'en a un, les Anglais ils l'ont pas loupé !

Ca fait un moment que je l'observe. C'est pas joli, joli un mort. Même s'il est de l'autre camp.

Celui là, il est couché sur le côté dans l'herbe fraiche. Il a trois balles dans la tête, une autre dans la poitrine.

On dirait qu'il voulait se mettre à l'abri de l'autre côté du talus. L'a pas eu bin l'temps...

Tiens. C'est marrant, on dirait qu'on lui a fait les poches. Qu'est-ce qu'on peut bien lui voler ?

Piqué par la curiosité, je m'approchais un peu plus puis me mis à genoux pour consulter les papiers éparses.

Près d'une des poches de son uniforme, un soldat allié ou un brigand avait laissé une photo que je n'avais pas remarqué jusqu'alors. Je la saisis. Elle était toute écornée et abimée à force d'avoir été manipulée.

Un jeune homme viril et élégant qui ressemblait à mon père posait fièrement entre une douce et jolie femme blonde, son épouse sans doute, et un jeune garçon tout sourire. Comme ils étaient beaux. J'oubliais un court instant que la guerre avait placé des barbelés de chaque côté de nos coeurs ennemis.

L'image de l'homme mort à mes pieds m'apeura soudainement et je lâchais la photo brusquement.

Une pensée venait de me traverser l'esprit et « m'avait fait peur ».

Et si les Allemands étaient des gens comme nous ? Pouvaient-ils être attachés à des valeurs simples : la joie d'être en famille et de passer de bons moments par-exemple ?

Mais alors, pourquoi nous avoir fait tant de mal depuis près de 4 ans ?

Et moi ? Etait-ce normal d'éprouver de la compassion pour nos ennemis ? Est-ce que papa en aurait eu ? Certainement pas !

Complètement perdu, je détalais comme un lapin pour retrouver la ferme et ma pauvre mère qui me consolerait bien vite d'une caresse sur la joue et d'un bon verre de lait chaud.

Que je le veuille ou non, j'étais encore un enfant, même si mes jeux étaient un peu plus bizarres et plus violents dirais-je qu'un gamin « normal » d'avant-guerre. La dure réalité qui m'entourait y était sans doute pour quelque-chose.

Comme beaucoup de garçons, ou d'hommes d'ailleurs, je n'arrivais pas à exprimer mes sentiments oralement. Je ne savais pas non-plus à qui les dire. C'est donc à partir de cette funeste rencontre avec le mort que je décidais de tenir un journal : Mon journal de l'été 44...

Ah ! Au fait ! Je m'appelle Jules et j'ai 13 ans.

Mon journal de l'été 44Where stories live. Discover now