Chapitre 32 ©

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En Allemagne, dans son lit, Jana réfléchissait elle aussi. C'était la première fois depuis la mort de Théophile qu'elle revenait dans son pays natal. Le vingt-quatre décembre, l'Heiliger Abend, était toujours un jour qu'elle attendait avec impatience dans elle était enfant. C'était la journée qu'on employait à orner le sapin de Noël et installer la crèche. Etant petite, Jana adorait aider son père à placer les personnages dans la crèche. Elle se souvenait des chants de Noël qu'elle entonnait avec Antje et Jürgen, dont un très célébre ''Stille Nacht, Heilige Nacht'', qu'on pouvait traduire en français par ''Douce Nuit, Sainte Nuit''. La vie était plutôt prospère à Berlin Ouest, Jana se souvenait qu'elle avait des oranges et du chocolat, ce qui n'était pas le cas de ses cousins de l'Est. Il n'y avait pas de produits de luxe à l'Est, en raison du régime communiste. Jana savait qu'elle avait eu beaucoup de chance de naître côté ouest, dans la zone de Berlin occupée par les français, ce qui expliquait qu'elle parlait aussi bien cette langue. La vie y était bien plus douce et les habitants y avaient bien plus de libertés. A l'ouest, pas de Stasi pour traquer et enfermer les opposants au régime.

Quand elle était arrivée en France, après la chute du mur, sa vie avait radicalement changé. La jeune allemande avait rencontré Brandon, puis Théophile quelques mois plus tard. Elle n'avait plus de repères, aucun. Son premier Noël en France, elle s'en souviendrait toute sa vie. A cette époque, Jana venait de rencontrer Brandon, il était son premier ami français. Ils avaient visité tout Paris ensemble. La berlinoise avait découvert la beauté de la capitale brillante de mille feux, La Tour Eiffel, l'arc de Triomphe, les Champs Elysées, le boulevard Haussmann et ses magnifiques vitrines, Notre Dame de Paris, le Sacré Coeur, la médaille miraculeuse, le quartier chinois, Montmartre, les jardins du Luxembourg, le Marais, le pont des Arts, le quartier latin, le Louvre et puis des endroits moins connus aussi comme le jardin des plantes, le 9 ème arrondissement, le Panthéon et le cimetière du Père Lachaise. Le surnom attribué à Paris ''ville lumière'' avait pris tout son sens. Les deux amis se promenaient main dans la main dans la ville, ils avaient l'air d'un couple. Peu de gens comprenaient le concept d'amitié homme-femme, comme maintenant d'ailleurs. Deux cents ans après la Révolution française on doutait toujours que les femmes puissent être les égales des hommes. C'était bien dommage mais les mentalités ont toujours été très lentes à évoluer, surtout dans un pays conservateur comme le nôtre. Une discussion que Jana avait eue à ce moment là avec son meilleur ami avait d'ailleurs troublé la jeune femme.

-Les gens nous dévisagent comme si nous étions en couple.

-Peut-être parce que nous ferions un joli couple.

-Tu n'es pas sérieux ?

-Je ne sais pas... Je me sens bien avec toi.

-Moi aussi, mais je préfère te garder en tant qu'ami. On dit souvent que l'amitié est plus précieuse que l'amour.

-Certains ne seraient pas d'accord avec toi.

-Je m'en fiche, je suis pour l'évolution des mentalités.

-Et bien tu risques d'attendre longtemps !

Le temps avait prouvé qu'il avait raison. Où en est-on vingt-quatre ans plus tard ? L'homosexualité commence tout juste à se banaliser, le mariage pour les couples de même sexe soulève toujours des débats de la part des militants puritains à l'heure où les divorces sont de plus en plus fréquents, on veut soi disant protéger les droits de l'enfant en voulant interdire l'adoption d'enfants par des couples homosexuels parce qu'un ''enfant a besoin de lien de sang pour se sentir bien dans une famille'' ou bien il a besoin de ''repères masculins et féminins''. Ce que ça sous entend, c'est que les homosexuels ne sont pas capables de s'occuper d'un enfant ou de plusieurs parce qu'ils les adoptent ou ont recours à la procréation médicalement assistée. Est-ce qu'un enfant ne préférerait pas être aimé par deux papas ou deux mamans plutôt que par un père et une mère qui sont à la limite de s'entretuer ? Le principal n'est-il pas l'amour qu'on a à lui donner plus que notre orientation sexuelle ? Bien sûr que si. Seulement ça fait mieux sur les papiers de naître d'un père et d'une mère. Combien de temps faudra-t-il aux gens pour accepter la différence, qui finalement n'en est pas une ? Sûrement un long moment encore. Jana avait pu voir tellement de choses, dans son métier et ailleurs... Des jeunes qui finissaient par mal tourner parce que rejetés par leurs parents à cause de ça. Ils avaient à peine la majorité pour la plupart et connaissaient déjà la galère. Pas étonnant qu'ils fassent n'importe quoi pour tenter de s'en sortir. Avant de leur jeter la pierre, faudrait déjà essayer de les comprendre et les aider aussi. Beaucoup de paroles mais au final, pas beaucoup de charité. Telle est la triste réalité. Entre son enfance paisible en Allemagne et aujourd'hui, beaucoup de choses avaient changé dans la vie de Jana, beaucoup de choses l'avaient bouleversée. Et si pour être heureux il fallait simplement rester enfant ? Le monde des adultes est si compliqué, si instable... On veut grandir à tout prix, mais l'âge où on croit encore au Père Noël apparaît d'un coup plus enviable et on le regrette. Passés quarante ans, la moitié de la vie pratiquement, on constate que la vie d'adulte est loin d'être simple, qu'on se plante souvent. On aimerait souvent revenir en arrière, mais c'est trop tard, il faudra se rattraper sur les années suivantes, celles qu'il nous reste. Et pour ceux qui n'atteignent malheureusement pas cet âge si craint, il faut espérer qu'ils ont profité de chaque jour de leur vie car malgré tous les obstacles, toutes les épreuves, toutes les blessures et les chagrins, elle mérite qu'on se batte jusqu'au bout.

"De l'autre côté... ©" première versionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant