Les embruns du Nord

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L'air salé rabattit les cheveux de la jeune fille sur son visage et elle frissonna. Jérôme sortit deux manteaux épais, imperméabilisés par magie. Ils se couvrirent en riant, heureux de laisser leur querelle se dissoudre dans les embruns du nord.

Naola jeta son sac à l'antiquaire puis posa son paquet à même le sable. Elle déballa l'hexoplan avec une joie sauvage qui étira ses traits d'un sourire plus grand que sa bouche. L'engin était parfait. La mer était parfaite. Elle se rendit compte qu'elle se sentait plus heureuse qu'elle ne l'eût jamais été et fut d'autant plus heureuse de s'en rendre compte.

« Arrête de baver, y'a bien assez d'eau dans la mer ! »

Jérôme avait sorti sa machine et l'attendait déjà, prêt à s'envoler. Elle lui adressa une expression radieuse et enfourcha la bécane. Sa bécane.

Elle décolla en trombe. La sensation de glisse et de vitesse déborda dans sa gorge sous la forme d'un long cri de joie. Elle fila au ras de l'écume. Même sur la côte, même dans la grisaille et sous un vent menaçant, la mécanique magique et sa délicieuse aérodynamique fendaient l'air comme si rien ne pouvait la dévier de sa course. Le pilotage relevait de l'instinctif tant il s'avérait fluide.

Naola manœuvra une légère embardée pour se retourner et constater que la rive s'était sacrément éloignée. Jérôme, petit point de couleur loin derrière, peinait dans les embruns.

Elle fit demi-tour et le frôla à pleine vitesse dans un « Wouhouuuuuuuu » que le jeune homme dut percevoir crescendo decrescendo. L'adolescente entama alors une véritable danse acrobatique. Tout ce qu'elle savait de figures, de manœuvres et de pirouettes y passa, et ce n'est que lorsqu'elle manqua de s'écraser dans les vagues qu'elle se calma enfin.

Jérôme se porta au niveau de la petite échevelée tout essoufflée qu'elle était devenue. Elle brûlait d'envie de se jeter dans ses bras et de l'inonder de mercis. Elle se contenta d'une dizaine de ce mot en restant à distance. Les câlins : pas pratiques en hexoplan.

L'antiquaire avait prévu un casse-croûte pour le midi. Ils volèrent quelques minutes au-dessus de la longue plage glacée, jusqu'à voir apparaître un bâtiment étrange. La bâtisse s'enfonçait au creux d'une dune, ensevelie sous des monceaux de sables agglutinés en coulées humides le long des murs extérieurs.

« On va s'abriter là, on sera au sec ! » cria Jérôme par-dessus les sifflements du vent.

Le temps se dégradait et de lourds nuages anthracite dévoraient l'horizon. Naola sauta au sol devant la masure, l'air dubitatif. Le toit en tuile brune était envahi de mousse, à tel point que des touffes d'herbes s'étaient enracinées là. Un arbuste rachitique s'accrochait au versant le moins exposé aux éléments. L'antiquaire se dirigea vers l'entrée barricadée de planches mal jointes, comme toutes les ouvertures de la masure. Il la déverrouilla à l'aide d'un sortilège.

« T'es déjà venu là ? » s'étonna Naola en se dépêchant de le rejoindre.

Le grain, dehors, commençait à tomber dru et une minute de plus sous l'averse aurait trempé l'adolescente.

« Ouais, y'a pas mal d'ensablées sur cette côte. Ce genre de baraque est une mine d'objets qui peuvent être intéressants pour la boutique. Enfin, même si dans celle-ci y'a plus grand-chose.

- D'ensablées ? »

Naola laissa courir son regard dans la pénombre, et lança un charme lumineux avec son concentrateur. Elle fut surprise de trouver une table, des chaises et un vieux fauteuil, rassemblés autour d'une cheminée à l'âtre noirci. L'air humide sentait l'iode et le renfermé. Jérôme s'activa près du foyer jusqu'à ce qu'un feu vif y crépite. La jeune fille déposa son hexoplan à côté de l'entrée avec mille précautions. Il faudrait qu'elle s'occupe de le nettoyer, la fine mécanique ne pouvait pas rester trop longtemps avec des grains de sable dans ses délicats rouages.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1Where stories live. Discover now