Le salaud romantique

Chapitre 5

–Mylène est entre la vie et la mort par ma faute. C'est moi qui l'ai poussé dans les bras de Pierre-Louis. Il me paraissait tellement sincère.

Avachie sur un banc face au parking réservé aux ambulances, une canette de coca-cola zéro à la main, Cathy haussa les épaules, les yeux levés au ciel.

-M'enfin Lydia, comment t'as pu croire ça, il n'la connaissait même pas, Mylène ?! Et puis si tu pouvais arrêter d'me passer et d'repasser comme ça, sous le nez... tu me donnes le tournis à la longue !

-Oui mais, j'connais Pierre-Louis un peu plus que toi, quand même.

-Pff, qu'est-ce qu'on connaît d'un mec, au fond ?

Rien. Absolument rien. Cathy n'avait pas tort : « De ses simples doutes à la pire de ses angoisses, on ignore tout de ses failles. A limite, on les pressent, mais on serait bien incapable d'en dessiner les contours avec précision. On est donc forcément loin d'imaginer que les mêmes choses exactement, peuvent le faire grandir, ou tomber... l'anéantir, ou se surpasser »...

-Mais au bout du bout, qu'est-ce qui est le plus important, à ton avis, Lydia ? Ce que tu sais, du moins crois savoir, ou ce que tu devrais savoir ?

Mouais... car pour Cathy, il en était des choses comme pour les mots, tout dans la nuance. « Suffit de saisir la différence entre évidence et apparence, par exemple ». Alors oui, vu sous cet angle dans l'épais brouillard de fatigue qui les enveloppait, évidemment .... Sauf qu'elles avaient juste besoin de dormir. Une bonne nuit là-dessus, et elles auraient vu les choses sous un tout autre jour.

Tout en continuant de parler, Cathy fixait le ciel qu'elle trouva immense au point qu'elle eut l'impression de s'y perdre. Combien d'âmes s'y trouvaient déjà ? Elle aurait aimé entendre le bruit de la pluie qui aurait été d'avantage de circonstance. Mais en même temps, dans tant de lumière, il y avait cette évidence : Mylène n'irait pas rejoindre le vent et les poussières d'étoiles, là-haut... Mylène, l'écrivaine n'allait pas mourir, elle avait encore trop d'histoires à écrire... Et ce, malgré son mystère qui resterait toujours entier. Il faisait partie d'elle de toute façon. Un peu comme ses non-dits et les silences qu'elle mettait entre ses mots.... Un peu aussi comme ce vieux chagrin qu'elle taisait et qui la rendait encore plus inaccessible...En tout cas, entre solitude et manque, une chose était sûre : Mylène la magicienne, se suffisait à elle-même, et ce n'était pas demain la veille, qu'elle se sentirait prête à faire une place pour quelqu'un d'autre que David, dans sa vie.

Même à l'homme le plus parfait qui soit, se dit Lydia. Bien sûr, elle pensait à Pierre-Louis qu'elle revoyait trempant ses lèvres dans son verre de vin, au vernissage de l'exposition d'un ami commun. Lydia, ce qui l'avait frappée, c'était cette petite lumière dans le regard de Pierre-Louis, quand ce dernier lui parlait de Mylène : « je l'aime passionnément, profondément ».... C'était en avril dernier, et elle savait qu'ils s'appelaient, mais qu'ils ne s'étaient pas encore rencontrés. Que se disaient-ils au téléphone, pendant des heures ? Pourquoi ce besoin de se parler aussi longuement, d'entendre la voix de l'autre, ses inflexions, ses rires, dans l'enchantement d'un rêve d'amour éveillé ? L'un et l'autre avait connu le bonheur, l'état amoureux, et puis le manque et la solitude... Quelle était la beauté d'une histoire comme la leur ? On croit courir après un idéal, on met la barre haute, et ce qu'on trouve en bout de course, c'est à la fois tout simple et fragile. Et pourtant, c'est tout d'un coup suffisant pour illuminer deux vies.

Encore quelques pas... et Lydia de demanda ce que voulait dire « aimer » ?

-Mesdames ?

Un manteau jeté négligemment sur ses épaules, l'employée du service des urgences passait juste la tête par l'entrebâillement de la porte d'entrée principale, en leur faisant signe d'approcher.

-Votre amie vient d'être admise en soins intensifs, et le diagnostic vital est encore réservé. Pour aujourd'hui, il serait préférable de la laisser se reposer. Vous pouvez rentrer chez vous.