Chapitre 8 | Le trocard

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- Mais mon petit Olivier, ça ne passe pas du tout, c'est n'importe quoi votre truc.

Monsieur Gerbaulet me parlait comme à un demeuré. Il avait repris les chiffres avec les nouvelles données : dix mille de plus à cause du retard sur le compromis, cinquante mille euros à rembourser sur trois ans à cause de Franco et trois mille sept cent euros de salaires net pour les deux cocos ce qui faisaient dans les six mille euros par mois avec les charges. En ajoutant loyer, remboursement du prêt, eau, électricité et tout le bordel, il fallait atteindre un chiffre d'affaire de vingt mille euros par mois. Deux cent quarante mille euros par an, ça ne me choquait pas et c'était en ligne avec les deux cent dix mille qu'on avait initialement estimé.

- Ouais, mais tu crois que ça se fait comme ça ? Faut en servir des repas, dis donc. Et trente mille de plus ou de moins par an, ça se trouve pas comme ça.

- Mais pour atteindre notre chiffre, on a juste besoin de dix-sept repas par service. C'est jouable, non ?

- Dix-sept repas, oui, mais tout le temps : lundi midi, mercredi soir, etc, etc. Et le midi, tu factures moins. Et ton resto, il a combien de places assises déjà ?

- Dix-huit en haut et douze en bas.

Il a vidé une bière cul sec de colère.

- Non, mais je te jure. Tes douze places en bas en été, tu ne vas pas les remplir souvent. Et t'as pas de terrasse. Et quelle idée d'emprunter à un sale type comme Franco.

- Vous le connaissez ?

- Tout le monde connait Franco enfin, ne sois pas stupide.

- Bon ok, pas la peine d'être désagréable. Tiens, remets nous la même chose, s'il te plait.

Je tentais une petite diversion auprès du barman.

- Tu peux remettre autant de tournées que tu veux, ça ne changera pas les chiffres. Non mais on n'a pas idée. Et tu vas être quasiment dans le rouge dès le départ. Ta trésorerie sera quasi nulle. Quand tu devras faire face à un imprévu, comment tu feras ?

- Ben, j'éviterais les imprévus.

Je l'avais dit sans conviction et je pense que Gerbaulet m'aurait mis une claque si j'avais insisté.

- Mais qu'il est bête. C'est ta première affaire, tu connais rien à la gestion d'entreprise, c'est évident que tu vas affronter de l'imprévu. Ah nom d'un chien, ça me bouffe de voir ça.

Et quand un truc le bouffait, il buvait. Encore plus. Pour éviter qu'il ne me ruine, je tentais de le rassurer.

- Je retournerai voir mes parents et ils me fileront bien encore un petit quelque chose.

- Faut espérer gamin. Faut espérer qu'ils voudront bien et espérer que le public se bousculera pour bouffer dans ta cantine. Sinon, elle ne sera pas ouverte longtemps.

La discussion avec Monsieur Gerbaulet m'avait plombé le moral, mais qu'est-ce que je pouvais faire ? Je n'allais pas m'arrêter maintenant. Les vendeurs et leur notaire allaient encore me saigner de quinze ou vingt mille de plus. Je devais signer. Et pour signer, je devais créer cette société. Dépôt des statuts aux impôts, puis CCI, puis CFE, m'avait dit le banquier. Pour ça, il fallait que Blédard me recontacte. Je venais de percuter qu'il ne m'avait pas donné de date d'ailleurs. Il me restait six jours pour tout faire, ça devenait serré, surtout avec un week-end au milieu. En attendant, je suis allé sur internet et sur le site du CFE pour voir un peu les pièces dont j'avais besoin. Tu parles d'un merdier. Voilà la liste de documents à fournir :

1. deux exemplaires des statuts

2. le journal d'annonces légales ou une copie de la demande d'insertion de l'avis

Une tarte dans la gueuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant