Chapitre 6 | Franco

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Paris, c'était toute ma vie. Nanterre, toute mon enfance. Une enfance sans relief particulier. Ni riche, ni pauvre, ni triste, ni heureux. Le temps qui passe entre un père de la vieille école, vous savez, le genre qui ne dit pas « je t'aime ». Employé, puis cadre à la SCNF, il avait le service public dans le sang presqu'au même titre que le vin rouge. Un bon père pour les standards de l'époque. Absent, mais moins que les autres, et pas violent lorsqu'il était présent. Une mère au foyer, un peu clichée, qui s'occupait de ses trois enfants : un frère de cinq ans mon aîné, devenu architecte, fierté de la famille. Une sœur plus âgée de trois ans, transparente, gentille, élevée dans l'idée que les femmes font le ménage et le bonheur de leur mari. Trente-cinq ans plus tard, elle était multi divorcée avec quatre enfants de trois pères différents mais très semblables au niveau de la connerie. Rien qui mérite qu'on en parle finalement. Une famille tout le monde, une famille normale, comme toutes les autres.

Niveau financier par contre, mon père ne s'était pas trop mal démerdé. Pas avec son salaire : cadre à la SNCF, c'était bien mais pas de quoi se la jouer gros richard. Il avait juste eu un peu de flair au niveau de l'immobilier. Comme mes parents étaient devenus propriétaires tôt, puisque c'était le rêve des familles comme il faut de l'époque, il avait su faire ce que les autres familles n'avaient pas fait : acheter et revendre pour profiter de belles plus-values. La famille avait déménagé cinq, six fois en vingt ans, en restant dans les mêmes quinze pâtés de maisons. Jamais compris d'où mon père avait tenu ce génie de l'achat/revente. Pas dans son éducation, pas dans son travail. Mystère.

Comme il n'avait pas l'appât du gain non plus, il s'était cantonné à améliorer l'ordinaire : là où un autre aurait pu devenir un des plus gros propriétaires de Nanterre, il vivait dans une maison très au-dessus de son standing actuel et ses économies tournaient autour des cent cinquante mille euros. Papa avait de la caillasse et j'espérais en profiter un peu. La poursuite de mon rêve passait par son compte en banque. Et coup de chance, j'avais de bonnes relations avec eux. Apaisées. Je n'attendais aucun drame particulier, j'étais serein en leur disant bonjour.


- P'pa, m'man.


Avec ce qu'il jetait dedans, à soixante ans, mon père en paraissait soixante-dix. Mais aujourd'hui, il avait l'air particulièrement fatigué.


- Tout va bien ?


Tout allait bien. Autant aller droit au but, je ne savais pas enrober. Et puis, s'ils y a des gens avec qui on peut se permettre de ne pas enrober, ce sont bien ses parents.


- J'ai un service à vous demander.

- Si on peut t'aider, on t'aidera, tu le sais bien, a dit maman.


Voilà ce que j'avais besoin d'entendre.


- Bon, je vais lancer mon affaire. J'ai racheté un bar avec Seb et Franck et on ouvre à la rentrée.


Acquiescement discret, « c'est bien » de politesse, pas exactement l'enthousiasme que j'attendais mais rien de grave.


- Et les banques m'ont planté. Vous les connaissez, les banques, les fumiers de banquiers et tout là.


Mon père démarrait au quart de tour sur les banques. Il a toussé un « enculé de banquier », m'a souri.


Une tarte dans la gueuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant