Camila
Comment Lauren peut-elle avoir eu un accident ?
Est-ce que c'est grave ?
Dites-moi que c'est un cauchemar !
Je donnerais n'importe quoi pour me réveiller.
Je cours dans les couloirs de l'hôpital, désespérée. L'établissement est immense. Je suis perdue. Theo tente de se renseigner, mais à l'accueil, on nous a seulement indiqué le bâtiment des urgences. Personne n'a pu me dire où se trouvait Lauren, exactement.
Dès que je croise une infirmière, je fonds sur elle pour lui demander la chambre de Lauren Jauregui. Je répète son nom plusieurs fois, comme une possédée. Theo court derrière moi. Il se voudrait rassurant, mais il dissimule mal son angoisse.
- On va essayer de trouver Matt, Camila. Il saura. Tu dois essayer de te calmer..., répète-t-il.
Me calmer, c'est impossible. Pas tant que je n'aurai pas vu Lauren. Pas tant que je ne serai pas rassurée sur son état.
Quand Matt a téléphoné, tout à l'heure, je tournais comme un lion en cage dans le salon. Je venais de recouvrir de tags les murs de la chaufferie, sur le toit. J'envisageais d'aller saccager le dragon du bas de l'immeuble, celui qui garde la moto. Theo tentait de me ramener à la raison.
Soudain, le téléphone de Theo a sonné. Il a décroché et j'ai vu son visage se décomposer. Au regard qu'il m'a lancé, j'ai compris que quelque chose de grave était arrivé. Il a simplement soufflé : « On arrive tout de suite. » Ensuite, il est resté muet quelques instants, l'air abasourdi. Il s'est mordillé les lèvres, cherchant ses mots. Il m'a serré dans ses bras. Pour me contenir autant que pour me rassurer. Et il a lâché cette phrase terrible qui résonne encore dans ma tête : « Lauren a eu un accident de moto. »
J'ai hurlé.
Il m'a prise par la main et nous sommes descendus. Un taxi était déjà en bas. J'ai cru comprendre que Matt l'avait appelé pour nous. En fait, à partir du moment où j'ai entendu les mots « Lauren » et « accident », je n'ai plus été capable d'aligner deux pensées cohérentes, seulement de me ronger les ongles jusqu'au sang.
Et nous voilà aux urgences. Je ne sais depuis combien de temps nous tournons dans les couloirs de l'hôpital, mais j'ai l'impression de devenir folle. Il faut que je voie Lauren. Je veux lui parler, lui dire que je l'aime, savoir si elle va bien.
J'ai l'impression d'avoir basculé dans l'horreur. J'étais à la maison, je me demandais si Lauren allait finir par m'appeler ou par rentrer. Maintenant, je me demande si elle est vivante.
Est-ce que quelqu'un saura enfin me dire où elle est, ce qu'elle a ? Je veux la voir !
Soudain, au bout d'un couloir, j'aperçois Matt. Je fonce droit sur lui, Theo sur les talons.
- Où est-elle ? Que s'est-il passé ? lancé-je haletante.
Je m'aperçois alors que le T-shirt de Matt est maculé de rouge. Du sang. Je fais un pas en arrière.
- Et toi ? soufflé-je en baissant les yeux vers les taches. Tu vas bien, Matt ?
Theo, qui vient de me rejoindre, pousse un cri inquiet et se précipite vers Matt. Il a vu les taches rouges, lui aussi, et commence à paniquer. Moi, je me sens vaciller. En même temps que j'ai posé la question à Matt, à propos du sang, un sombre instinct m'a soufflé que ce n'était pas le sien... Matt se tient debout, il est pâle, mais il ne semble pas souffrir, ni boiter...
- Je vais bien, nous rassure-t-il en nous regardant et en posant la main sur la joue de Theo en un geste tendre.
Il reste un instant immobile.
- C'est le sang de Lauren, avoue-t-il en me jetant un regard troublé. Il a perdu beaucoup de sang...
Je l'avais deviné, mais l'entendre de la bouche de Matt me fait frôler le malaise.
- C'était terrible, souffle-t-il. Je n'ai rien pu faire. Lauren n'a rien pu faire...
De toute évidence, Matt est encore sous le choc. La violence de la scène à laquelle il vient d'assister ne fait aucun doute. Theo prend Matt dans ses bras et le serre fort contre lui, aussi soulagé que bouleversé.
- Où est Lauren ? demandé-je, l'air hagard.
Matt se libère doucement de l'étreinte de Theo et s'approche de moi. Il pose une main sur mon bras. Je me laisse faire, mais je n'aime pas du tout sa façon de me regarder, comme pour me préparer à un grand choc.
- Lauren est en train de se faire opérer, Camila...
- Opérer ?
J'ai répété ce mot comme si j'en découvrais le sens, et la violence. Les taches rouges dansent devant mes yeux jusqu'à me donner le vertige. Matt a compris que je me sentais mal et il m'aide à m'asseoir sur une chaise de la salle d'attente, puis il s'assoit à côté de moi, pour être à ma hauteur.
- Tout est allé très vite..., commence-t-il.
Il soupire, se passe plusieurs fois les mains sur le visage, comme pour reprendre lui-même courage.
- Je veux dire... Lauren ne roulait pas vite du tout, lui, au contraire. Elle sait que les chaussées glissantes sont dangereuses pour les motards. C'est la voiture qui a déboulé à toute blinde.
- La voiture ?
Je suis suspendue aux lèvres de Matt comme à celle d'un oracle funeste. Il a du mal à parler tant il tremble.
- On rentrait à la coloc'. L'orage venait d'éclater. Il pleuvait des cordes. Le feu est passé au vert, pour nous. Lauren a démarré doucement, prudemment, mais une voiture a déboulé de la gauche. Elle avait perdu le contrôle et zigzaguait en travers de la route. Elle est arrivée si brusquement qu'il a été impossible à Lauren de l'éviter. Elle lui a foncé dedans, littéralement.
- Tu veux dire qu'elle l'a percuté de plein fouet ? demandé-je, incrédule.
J'ai l'impression que quelqu'un d'autre que moi a posé la question tant ma voix est étranglée.
Matt hoche la tête.
Je sens deux mains se poser sur mes épaules. Je lève les yeux. Dinah et Darren sont arrivés sans que je les entende. Leur présence me fait du bien, mais ne suffit pas à chasser l'horrible angoisse qui me ronge.
- Le choc a été violent. Lauren a volé par-dessus le capot. Il ne reste pas grand-chose de la moto. Elle est passée en dessous. Les secours sont arrivés rapidement, heureusement. Apparemment, elle est touchée au niveau des côtes. Gravement, ajoute Matt un peu plus bas, la voix étouffée.
Imaginer Lauren blessée me fait presque aussi mal que si j'avais moi-même été victime de l'accident.
- Elle t'a dit quelque chose ? Elle avait très mal ? demandé-je en larmes.
Matt prend une grande respiration.
- Le choc a été violent, Camila, reprend-il doucement.
Je sens qu'il hésite à m'avouer la suite. Je me lève d'un bond.
- Matt, dis-moi la vérité ! Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?
- Je n'ai pas parlé à Lauren, Camila. Elle était inconsciente. Je suis monté avec elle dans l'ambulance, le trajet a été rapide. Puis ils l'ont emmené immédiatement au bloc opératoire.
Je me sens me décomposer. L'accident est encore plus violent que ce que j'avais imaginé.
- Tu veux dire qu'elle n'a pas repris conscience ?
- Non, avoue Matt. Quand elle est arrivée ici, elle n'avait pas repris conscience. Mais elle respirait, m'ont dit les secouristes.
- Camila, les médecins s'occupent d'elle, m'assure Dinah.
Je sens qu'elle est inquiète, elle aussi. Et qu'elle n'est pas du tout rassurée, contrairement à ce qu'elle voudrait laisser paraître.
- Nous nous sommes quittées fâchées, articulé-je péniblement. Je m'en veux tellement... C'est ma faute. Si nous ne nous étions pas disputées, elle ne serait pas allée faire ce tour à moto. Et alors, elle n'aurait pas eu cet accident !
- Tu ne peux pas dire ça, Camila ! protestent mes amis.
- Je veux la voir ! m'écrié-je en me levant d'un bond.
J'échappe des bras de Dinah qui tente de me retenir, je sors dans le couloir et hèle une infirmière qui passe. Elle se retourne, surprise par ma façon de l'interpeller.
- Je voudrais voir Lauren Jauregui, je sais qu'elle a eu un accident et qu'elle est dans ce service. Est-ce qu'elle va bien ?
- Vous êtes de la famille ? demande l'infirmière en me dévisageant.
- Non, mais je vis avec elle ! Nous...
- Alors on ne peut rien vous dire, mademoiselle.
- Comment ça ?
- Seule la famille peut la voir ou obtenir des informations sur son état.
- C'est si grave que ça ? c'est pour cela que vous ne voulez rien me dire, c'est ça ? m'emporté-je.
- C'est le règlement, mademoiselle, lance l'infirmière en s'éloignant.
- Vous n'avez pas le droit de faire ça ! hurlé-je.
- Parfaitement, si, et d'appeler la sécurité, aussi, si vous troublez la tranquillité du service, menace-t-elle en tournant les talons.
Je suis au bord de la crise de nerfs. Dinah est arrivée pour me retenir et me ramener dans la salle d'attente.
- Tout ce que tu vas gagner, c'est te faire jeter dehors... me souffle mon amie.
- Je vais devenir folle si je ne la vois pas. Je suis prête à ouvrir chaque porte de cet hôpital pour trouver Lauren. Il faudra me passer sur le corps pour me mettre dehors, annoncé-je froidement.