C'est assez marrant puisque j'ai découvert ce soir, un adversaire de taille. Impressionnée par la vitesse à laquelle Tom aspire ses pâtes, je déglutis pour avaler les miennes.
- It's so yummy...
Je ris, le ventre à deux doigts d'exploser.
- Yes, isn't it ?
J'attends qu'il ait terminé de boire l'eau de sa soupe pour me jeter à la mer.
- Est ce que tu veux me le raconter ? je demande soudainement.
Tom, pose délicatement son bol vide sur la table en bois. Il me regarde, fronçant ses sourcils. Je fronce les miens, cherchant à bien m'exprimer pour qu'il puisse me comprendre.
- Comment ça ? me questionne t-il.
- Je veux dire... Si tu veux, bien sur, tu peux me raconter ce qu'il se passe à ton travail, il à l'air d'être une partie importante de ta vie et comme tu l'as déjà un peu évoqué...
Me perdant dans mes pinceaux, je préfère finalement me taire.
- En tous cas, n'hésite pas !
Je lui lance un sourire timide qu'il me renvoie.
- Oh, d'accord. Yeah, uhm... Comment te dire...
Tom réfléchit pendant de longues secondes avant de reprendre.
- C'est que... Ce n'est pas un métier évident, m'explique t-il. Je suis en France pour suivre des acteurs, nous voyageons pour organiser les avants premières de certains films.
- Oh, c'est ton métier ? Je pensais que tu étais étudiant, c'est pour ça... Tu travailles dans l'événementiel ? Tu t'occupes des acteurs ?
Mais il secoue la tête, balayant chacune de mes idées.
- No, tu as raison, je suis... a student, so I can't do so much things. But it's great too, you know.
Je hoche la tête, comprenant ce qu'il veut dire.
- Oui, c'est sûr... Ce doit être épuisant comme métier ! Mais les stages sont super intéressants pour découvrir tout ça.
- Yeah, I think so...
Tom, dont les yeux sont d'abord rivés sur le bol à Ramen, pose son regard sur moi.
- Tu sais, par rapport à ce que tu me disais...
- Quand ça ?
- Juste là, en me disant que je pouvais te confier à moi. Euh, me confier à toi, je veux dire. J'aimerai beaucoup, mais c'est difficile.
- Je comprends, ne t'inquiètes pas, je le rassure tranquillement.
- Mais j'aimerai, tu sais...
- Tu peux me dire ce qui est difficile pour toi, si tu veux, mais ne t'obliges pas à...
- Oh... me coupe t-il. So... C'est ça, justement. Le fait que je ne puisse pas vraiment me confier. Parce que me confier risque de tout faire Screw up, you know ? Et puis je n'ai pas souvent le temps ni souvent de personne à qui le faire, m'explique t'il en français.
Je le regarde désolée.
- Même quand tu es chez toi ? Je veux dire que le contexte doit surement jouer sur ton moral, tu es là, à je ne sais combien de kilomètres de chez toi. Tu as surement envie de retrouver tes liens avec les gens que tu apprécies.
- Si, ma famille et mes amis sont là pour moi. Mais, ce que je veux dire, c'est que... j'aimerai dire les choses simplement aux personnes que je rencontre. Ou que les gens me voient comme je suis. Qu'ils me connaissent réellement, qu'ils me respectent.
C'est peut être impertinent, mais le fait de discuter avec Tom me rassure sur la vie que je mène.
- Pof... La vie... C'est pas si marrant... je souffle en laissant tomber ma tête sur la table.
Je me redresse lorsque le serveur revient vers nous.
- Désirez vous autre chose ? nous demande t-il en prenant les deux bols du bout de ses doigts.
Je regarde Tom qui n'a plus l'air d'avoir faim.
- Ce sera tout, je conclue.
Le serveur n'a pas dit le prix que je sors mon billet de ma poche. 18 euros pour deux et je connais bien ! Prête à recevoir mes deux euros, Tom m'arrête dans mon élan. Avec la sienne, il baisse doucement ma main fermée. Il me sourit, donnant au serveur son billet de 20 euros.
Dès que nous sortons dehors et que nous rencontrons l'air frais de la nuit, je ne peux m'empêcher d'avouer au jeune anglais :
- Tu vas peut être me trouver bizarre, mais tiens, prends les...
Comptant mes 4 pièces de deux euros et celle de un, je lui prends sa main et y dépose la monnaie. Mais le poing de Tom se ferme aussi vite qu'une gueule affamée.
- No. Keep it.
- Why ? S'il te plait, je vais me sentir gênée jusqu'à mes 49 ans sinon... je le supplie en essayant de tirer sur ses doigts contractés.
- Nonono... rit-il en m'attrapant les mains. Please, keep it... S'il te plait, Julie.
Je dépose les pièces dans la poche de son pantalon avant de m'enfuir comme une voleuse dans la pénombre de la nuit.
- Julie, soupir t-il. Come here.
Mais je ne l'écoute pas, devinant pertinemment l'idée qui trotte dans sa tête.
- Okay, but tell me why then, dit-il en s'approchant de moi.
Mais ses pas se détournent de moi lorsqu'il remarque le square près de nous. Tom me fait signe de le rejoindre. Assis sur le petit banc, il m'offre gentiment une place. A son étonnement, je lui fais savoir que je préfère rester debout.
- So, why ? reprend t'il en me regardant, ses deux petites oreilles grandes ouvertes.
- Oh... Because... Tu sais, c'est bête, mais je n'aime pas ça parce que j'ai l'impression de devoir quelque chose à quelqu'un. Et j'ai ce sentiment de dépendance à l'argent des autres... Je sais que beaucoup de personnes sont comme ça aussi ! Ne m'en veux pas.
Tom m'attrape la main. Je la retire en riant.
- Aller, garde les, je lui demande sincèrement.
Mais il n'a décidément pas l'air d'être du même avis que moi.
- Listen Julie. Je te propose... Tu reprends ces 9 euros, et la prochaine fois que nous ressortons tous les deux, tu paies avec cet argent. Ca te va ?
- D'accord, dis je, finissant par accepter sa proposition.
Il met alors la monnaie dans ma poche de pantalon, tout sourire. Puis il lève les yeux vers moi.
- Ca permettra de te voir, avoue t-il avec un sourire cette fois ci, plus timide.
Rouge écrevisse, je remercie la nuit d'être notre spectatrice.
- J'espère que je ne te gêne pas trop... dit il en remarquant mes mains nouées entre elles.
Je secoue la tête. Un peu trop précipitamment pour donner du sens à mes mots.
- Nononon... Ne t'inquiètes pas, tu ne me gènes pas, je bafouille en lui donnant un coup sur son épaule.
- Outch.
Assis sur le banc, il se venge en attrapant avec ses deux jambes, mes mollets inanimés. Surprise, je bascule sur mes pieds et m'appuie sur le banc pour ne pas tomber. Je me débarrasse du filet humain jeté sur moi puis monte sur la planche en bois du banc. Par je ne sais quel moyen, je réussis ma prise.
- Whoooo ! okay, okay... s'écrit le jeune anglais en se débâtant.
Je lui lâche alors les bras, amusée.
- I'm scared. Give me my money ! dit il en en se précipitant sur les poches de mon pantalon.
Aussi rapide qu'une petite souris, je saute du banc, me mettant à courir en rond, paniquée, riant comme une enfant. Je me laisse finalement attraper par mon prédateur qui fait semblant de me dévorer.
- Madame, wants to kill me ! This afternoon with a punch and now with...
Il cherche ses mots avant de reprendre en riant :
- This little arms ! What is that ! Why me !
- Pardon, pardon, pardon... je m'excuse suffoquant de rire, m'effondrant par terre sous le poids de Tom.
Tous les deux par terre, on s'aide à se relever. Bien évidemment, lorsque j'attrape sa main, ma tentative diabolique de chute se retourne contre moi. Après s'être serrés la main comme signe d'armistice, Tom se dirige vers la sortie du petit parc.
- Ne tardons pas trop... Tu viens ?
C'est alors que je pense à Fley, Tessa et Antoine.
- Tu as raison, allons y...
Nous nous dépêchons d'aller retrouver Antoine et de le libérer de nos deux petits monstres fatigués. Tom insiste pour me raccompagner chez moi et je le laisse guider mes pas dans les ruelles sombres, surveillant du coin de l'oeil le nom des rues.
Devant mon immeuble, je reste figée, n'ayant pas encore songé à cette partie de la soirée.
- So, euh, Goodbye ! je lance en le saluant avec ma main.
- Tu veux que je te raccompagne, là haut ?
Mes mains, devenues incontrôlables, viennent caresser frénétiquement mes sourcils. Tom se met à rire.
- Don't worry, I'll go down, I promise.
Je lui souris nerveusement, désolée par ma timidité.
- D'accord...
Nous prenons l'ascenseur, Fley et Tessa gesticulant entre nos jambes. Lorsque je rentre dans l'appartement, je propose un verre d'eau à Tom. Tandis que je cherche désespérément un verre propre au design socialement acceptable, je l'entends de l'autre bout de la pièce.
- It's nice ! I have to come here more often !
Je souris, pensant à mon canapé complétement retourné. Je me frotte le front, ne sachant que faire.
- C'est gentil, lui dis-je en lui offrant le verre d'eau.
Il regarde les palmiers qui y sont dessinés avant d'avaler d'une traite le liquide froid.
- Je te remercie...
Je reprends le verre puis raccompagne Tom et sa chienne jusqu'à la porte d'entrée.
- So... Thank y... Merci pour ce soir, j'ai beaucoup apprécié être en ta compagnie.
Je souris, séduite par les mots que Tom emploie méticuleusement.
- Oh, ce n'est pas ça ?
- Si, c'est ça, je le rassure en lui souriant. J'aime beaucoup la façon dont tu parles français.
Surpris, Tom sourit, sans ne plus penser à me répondre.
- Bye, Tom... dis je en lui offrant un dernier sourire.
- Goodnight, Julie.
La porte à deux doigts de se refermer, quelque chose vient subitement la rouvrir.
- Julie !
Je tire la poignée, inquiète.
- Oui ?
Tom, gêné, sors son téléphone.
- May I have your...
Il pose ses yeux sur moi.
- Bien sur. O6...45... 17... j'énonce en regardant les numéros s'afficher sur son écran.
- Merci, me dit-il en rangeant son smartphone dans sa poche. Merci pour la journée.
- Merci à toi.
Je reprends la poignée de ma porte lorsque je constate que le pied de Tom est toujours dans l'entrée.
- I like you.
Je lève les yeux bêtement vers lui.
- I like you very much, dit il en retirant doucement sa jambe. Goodnight, Julie. See you soon, I hope.
Je le regarde pousser la porte des escaliers avant de m'écrouler sur ma porte d'entrée, fondant comme de la cire chaude.