L'Aimant - Laurasia I

Od CamilleParpaleix

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Et si la France perdait la guerre de cent ans, laissant place à un empire mondial ? En 1428, la France perd t... Více

Notes et avis aux lecteur.ices
1. Prologue
2. Jehannette, février 1428
3. Jehannette, février 1428
4. Barty, février 1828
5. Barty, février 1828
6. Barty, février 1828
7. Jacobus, février 1428
8. Jacobus, février 1428
9. Princesse, février 1828
10. Princesse, février 1828
11. Zabillet, février 1428
12. Zabillet, février 1428
13. Adélaïde, février 1828
14. Adélaïde, février 1828
15. Adélaïde, février 1828
16. Jacobus, février 1428
17. Jacobus, février 1428
18. Adélaïde, février 1828
19. Adélaïde, février 1828
20. Adélaïde, février 1828
21. Jehannette, mars 1428
22. Jehannette, mars 1428
23. Jehannette, mars 1428
25. Barty, mars 1828
26. Barty, mars 1828
27. Barty, mars 1828
28. Richard, mars 1428
29. Richard, mars 1428
30. Augustine, mars 1828
31. Augustine, mars 1828
32. Augustine, mars 1828
33. Jehannette, avril 1428
34. Jehannette, avril 1428
35. Barty, avril 1828
36. Barty, avril 1828
37. Barty, avril 1828
38. Barty, avril 1828
39. Zabillet, avril 1428
40. Zabillet, avril 1428
41. Adélaïde, avril 1828
42. Adélaïde, avril 1828
43. Adélaïde, avril 1828
44. Jehannette, mai 1428
45. Jehannette, mai 1428
46. Barty, mai 1828
47. Barty, mai 1828
48. Barty, mai 1828
49. Richard, septembre 1428
50. Richard, septembre 1428
51. Adélaïde, septembre 1828
52. Adélaïde, septembre 1828

24. Barty, mars 1828

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Od CamilleParpaleix

Demeure Thimonnier

— Shit de conch...

— Chut ! l'interrompt Adélaïde.

Sa voix résonne dans la machine tandis que le chat, son éternel complice, fait écho d'un feulement. Couchée sur le dos sous l'organette, la jeune femme est dissimulée sous la masse de métal. Le silence s'installe quelques secondes, puis l'instrument crachote quelques notes emmêlées et démarre une mélodie de William Shield d'un cri métallique. Barty porte ses mains à ses oreilles en grimaçant : le son est revenu. Malheureusement, les à-coups sont encore trop forts et trop nombreux. Il jette un coup d'œil à son autre machine, perchée sur le guéridon juste à côté de la centrale à charbon. Le vaporiste s'est résolu à ne plus s'éloigner de l'instrument : les signaux deviennent particulièrement irréguliers ces derniers temps.

— Je maintiens que les Dominions Nord sont tout autant victimes de l'Empire.

Adélaïde pousse un soupir exaspéré et lance quelques jurons bien sentis. À force de se tortiller par terre sous la machine, ses jupons sont relevés quasiment au niveau de ses genoux. Décidément, j'aurais dû accepter son aide il y a des semaines déjà... songe Barty en se mordant la lèvre. Pas forcément pour ses compétences : bien qu'elle se débrouille, on remarque son manque d'expérience... mais surtout, elle s'en sort avec classe. Barty détourne les yeux, il se sent étrangement fautif de la contempler ainsi. Gamins, tous deux réparaient souvent des objets ensemble. Et puis, en grandissant, séparés par leur genre, Barty n'a plus jamais osé impliquer Adélaïde. J'ai réalisé notre rêve : je suis devenu inventeur. Quant à elle, elle est devenue femme. Pas ma femme, par contre... et pas inventrice non plus. Alors qu'il se résout à clore le débat, la jeune femme répond enfin à son argument provocant :

— Le Nord est favorisé : les gens ici ont les moyens de détrôner l'Empire, tandis qu'au Sud, ce n'e...

— Les pauvres gentils au Sud, les riches méchants au Nord, interrompt Barty d'une voix moqueuse, tu as une vision bien trop simpliste, tu vois le monde en noir et blanc ! Qui donc fournit l'argent du Nord ? Les esclavagistes du Sud sont les plus à blâmer, sans parler des réseaux des plaques tournantes qui participent activement à la vente de leurs propres peuples...

Face au silence de son interlocutrice, il ajoute :

— De mon humble point de vue.

— Je suis sûre que ton humble personne s'accorde – au moins ! – à définir le Nord comme la seule racine du mal ! Si l'Angleterre n'avait pas colonisé la France puis le reste de l'Europe, si Laurasia n'avait pas été le seul et unique empire colonial, agresseur consenti des zones que tous ont alors considéré « inexplorées », en situation de pseudonécessité...

Adélaïde continue sa tirade d'une voix sarcastique. Barty n'écoute plus qu'à moitié. Plus elle joue avec lui, plus il sent une sorte d'excitation animale envahir sa poitrine, pas vraiment sexuelle, pas intellectuelle non plus. Ses mains sont moites à force de manipuler gauchement les réglages de l'organette. Il se décale pour laisser toute la place à Adélaïde.

— Passe-moi la clé, lance-t-elle, non, pas celle-là, la plus petite.

Gêné de se retrouver dégradé au rang d'assistant, Barty retient la clé dans sa main au lieu de lui donner l'outil. Adélaïde lui renvoie un sourire ironique, et tire si fort pour tenter de la lui prendre qu'elle retombe en arrière. Éclatant de rire avec elle, Barty se penche sous l'organette et lui effleure le bras. Leurs peaux se hérissent simultanément.

— Adél...

Un bruit sourd retentit dans le salon et Barty se cogne la tête sous l'instrument en se relevant. Avec un gémissement de douleur, il regarde derrière lui pour découvrir Princesse, tout sourire, qui vient de déposer un plateau chargé d'assiettes sur la table. Son esclave rayonne : elle laisse même quelques fines tresses s'échapper de sa coiffure d'ordinaire si sévère. Il semble à Barty que l'arrivée des filles lui réussit. Comme quoi, il suffisait d'un peu de compagnie féminine... il n'y a qu'avec moi que l'inverse s'est produit, songe-t-il avec une grimace.

Adélaïde, en particulier, s'entend à merveille avec sa belle esclave. Peut-être essaye-t-elle de l'enrôler dans une de ses causes perdues... Il se remémore certaines conversations, il y a peut-être un an ou deux : Adélaïde lui parlait de cette femme, une ouvrière avec un nom de fleur. Elle n'arrêtait pas d'insister pour qu'il la rencontre, au point qu'il s'était énervé et lui avait demandé s'il fallait aussi l'inviter dans leur lit. Ils étaient encore amants, à l'époque. Barty n'avait plus jamais entendu parler de la travailleuse par la suite... et ses ébats avec Adélaïde s'étaient dramatiquement espacés.

Un frisson d'angoisse lui secoue les épaules à ces pensées. Laurasia n'est pas tendre avec ses « anormaux ». Les manufacturiers comme Adélaïde ont la chance relative d'être assignés à quelques mois, voire quelques années de coûteuse rééducation dans des centres spécialisés. Les travailleurs sont punis de déportation : la zone dépend de la gravité du délit, la sanction s'étend donc du simple exil à l'équivalent de la peine de mort. Quant aux esclaves, n'ayant de toute façon ni le droit de mariage ou de choisir leurs partenaires sexuels, quelconque relation non approuvée par leurs maîtres est illégale. Selon la loi, l'homosexualité ne peut être punie tant qu'elle leur est ordonnée ou imposée.

— Alors, toujours pas de musique ? demande Princesse avec un air innocent.

Barty lève un regard flou vers son esclave. Il est surpris de ne pas être jaloux à l'éventualité d'une relation entre Princesse et Adélaïde. Simplement inquiet. Je devrais arrêter de me donner des sueurs froides sans preuve aucune.

— Comment ça, toujours pas de musique ? Comment allons-nous faire pour le thé de cette après-midi ? Les Gauthier ont confirmé hier...

C'est Augustine qui se précipite à la suite de Princesse. Augustine, ma chère et tendre épouse. Vêtue d'une fine toge rose pâle échancrée aux épaules, ses longs cheveux aux boucles anglaises en chignon bas minutieusement défait, la jeune femme est particulièrement resplendissante. Hibiscus se dissimule dans l'ombre de sa maîtresse, encore mal à l'aise dans son nouveau foyer.

— Le thé, c'est le moindre de nos soucis, tu vois bien !

Adélaïde relève une figure noircie de charbon, cheveux emmêlés. Avec une grimace dégoûtée, Augustine détaille la robe tachée de sa sœur, puis réplique :

— Je sais bien que ces mondaineries ne t'intéressent pas, mais... au final, il faut bien que quelqu'un s'y colle si nous ne voulons pas finir isolées comme... certains.

Cette fois-ci, c'est Barty qu'elle fusille du regard. Comme si tout était toujours ma faute ! Le vaporiste hausse les épaules, se retenant à grand-peine de se moquer pour la énième fois de cette horrible expression : « au final ». Quelle ganache, avec ses beaux airs. Il survole la pièce des yeux pour trouver une excuse et s'échapper avant que l'ambiance ne tourne en sa défaveur. Il se retourne vers Adélaïde, qui se relève sans lui prêter attention.

— Je vais me changer pour le déjeuner, annonce-t-elle.

— Je vous accompagne, Miss Adélaïde, ajoute Princesse en partant à sa suite.

— Parfait. Barty, je te laisse finir de réparer l'organette !

Traîtresse de weasel ! Dépité, il observe les deux jeunes femmes quitter le salon. Il s'installe plus profondément sous la machine en grommelant et récupère la petite clé abandonnée par terre.

Adélaïde a fait du bon travail. Il ne subsiste en effet qu'une vingtaine de boulons à resserrer et les tremblements devraient retourner à leur degré initial. Alors qu'il s'attaque à la première rangée, son épouse continue de lui rabâcher ses diverses plaintes : et leur niveau social, et ils n'ont pas d'amis, et leurs finances, surtout leurs finances, toujours leurs finances.

À la deuxième enfilade de boulons, Barty désespère de se trouver une excuse pour un peu de temps tranquille avant le déjeuner... et il me reste encore deux rangées entières ! Peut-être devrais-je prétexter à une quelconque correspondance urgente avec l'un de ces illustres inventeurs trop occupés à servir l'empire pour ne jamais répondre à mes lettres ?

Un bruit sourd le fait sursauter et il manque de se cogner à nouveau la tête sous l'appareil. Le silence généré par la courte interruption ne dure pas : à peine Barty s'est-il relevé pour en chercher la cause qu'Augustine houspille déjà Hibiscus à grands cris. La jeune femme a renversé une lampe à gaz sur le tapis en voulant changer la mèche. Barty fronce le nez : l'odeur est épouvantable. Elle mettra plusieurs jours à se dissiper. Dire que j'ai invité John pour déjeuner ! Il n'ose même pas regarder la pauvre Hibiscus, probablement recroquevillée dans un coin du salon comme un animal battu. Les mots de sa maîtresse suffisent à lui faire l'effet de coups : en plus de tressaillir et de laisser s'échapper larmes et gémissement, elle semble en porter la marque pendant plusieurs heures. Barty cherche constamment à éviter la jeune femme. Par lâcheté, un peu, peut-être ; mais surtout pour éviter ses attentions déplacées. Il lui parait parfois qu'elle cherche sa protection face à Augustine en lui offrant de gênantes faveurs.

Le chat fait alors son entrée, annonçant son illustre carcasse d'un piteux miaulement. Barty feule en retour entre ses dents pour éloigner la bête, qui vient néanmoins le rejoindre sous l'organette. Le vaporiste lui éternue au museau. Augustine interrompt sa litanie de reproches – qu'elle alternait jusqu'alors entre Hibiscus et lui – pour éclater de rire. Barty sent la moutarde lui monter au nez. C'en est trop : il se dégage en tortillant ses hanches et se relève.

— Je reviens, annonce-t-il de sa voix la plus digne.

Augustine lui lance un regard soupçonneux alors qu'il se relève en époussetant la suie de sa chemise. Il regrette d'avoir accepté la bête dans sa maison. Peut-être même regrette-t-il son épouse, également. Ainsi qu'Hibiscus, malgré sa candeur. Avec tout ce monde, voilà des semaines qu'il n'a pas pu se permettre de se promener nu dans sa propre demeure.

— Il me manque une pièce, ajoute-t-il après une petite quinte de toux mi-gênée, mi-allergique.

Les reproches de sa femme continuent de l'accompagner jusqu'au pas de la porte, mais elle n'ose pas monter avec lui. C'est son espace, elle n'y entre jamais ; et puis, comme elle le dit si bien, c'est trop sale et poussiéreux pour elle. Mon antre, mon paradis ! songe le vaporiste, quelle ironie. Le bureau n'a jamais été aussi délabré que depuis l'emménagement des filles. D'un accord tacite avec Barty, Princesse ne s'y rend que discrètement pour de courtes durées pour éviter d'éveiller la curiosité de sa maîtresse. Elle ne range plus, ne nettoie presque plus : elle a bien compris qu'il fallait lui laisser un endroit pour lui seul... et surtout éloigner Augustine pour lui offrir un peu de répit. Au prix de moult éternuements.

Arrivé en haut des marches, le vaporiste hésite, puis se dirige à pas de loup vers la gauche. Il n'en revient toujours pas qu'Adélaïde soit rentrée si tard le soir dernier ; apparemment en passant par des rues mal fréquentées. Pour que des hommes assaillent ainsi une manufacturière... La jeune femme n'a pas voulu répondre à ses questions, alors Barty compte bien découvrir son secret par lui-même. Peut-être qu'elle a déniché un meilleur inventeur que moi à assister ? Ou bien elle vend ses affaires en douce – elle pense sûrement que je n'ai pas remarqué les entrées d'argent... mais j'effectue mieux les comptes qu'Augustine, moi. Barty tend l'oreille, maintenant à quelques pouces de la porte entrebâillée. Il entend des rires étouffés, des chuchotements. Perplexe, il essaye de regarder dans la pièce, mais l'ouverture se révèle trop étroite. Du bout des doigts, il pousse le battant... et s'arrête immédiatement. Le craquement des gonds vient de faire taire les deux jeunes femmes. Barty se sauve en vitesse, apercevant au passage le dos nu de Princesse.

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