Assise sur un vieux banc en bois de couleur verte, les jambes repliées devant moi et la tête enfouie entre mes genoux, je cherche ma respiration, figée.
Non, non, non, non, non !
Carly s'accroupît dans le sable de l'allée, pose ses paumes sur mes bras, poussant un lent soupir empreint de sa propre angoisse.
— J'adore Evan. Il est fabuleux, vraiment. Charmant, drôle, serviable. Mais tu comprends pourquoi je t'ai toujours maintenue à l'écart ?
Oui...
Je me redresse lentement, laisse une larme s'échapper dans un sanglot, donc elle s'empresse de s'assoir à mes côtés pour m'enlacer.
— Tu vas garder tes distances, être prudente comme tu l'es toujours et tout ira bien, ok ?
Incapable d'articuler quoi que ce soit, je me contente de hocher imperceptiblement le menton pour valider le plan, laissant ma joue rejoindre le réconfort de son épaule.
Distance. Prudence.
— Respire un grand coup ma chérie, m'ordonne-t-elle. Il faut rentrer avant que quelqu'un ne remarque notre absence.
Oui, comme un...
Même en pensées, je n'arrive guère à le dire. Prenant une profonde inspiration, je ferme brièvement les paupières, profitant du vent frais balayant ma peau avant de contempler le ciel. L'aube me passant l'envie de traîner davantage dans le coin, je rassemble rapidement ce qu'il me reste de courage. Saisissant la main de ma meilleure amie, je me lève, la tirant derrière. Lorsque nous arrivons devant la porte par laquelle nous sommes arrivées, nous échangeons une œillade décidée, nos doigts se détachant. Après que j'ai tourné la vieille poignée en métal ronde, elle s'accroche à nouveau à moi et nous entrons ensemble dans sa salle de bain. Elle se dirige immédiatement vers le lavabo, mouille une lingette lavable, puis essuie soigneusement mon visage.
— Voilà, tu es parfaite, approuve-t-elle lorsqu'elle a terminé.
Elle déverrouille la serrure, retourne dans sa chambre pour en faire autant, m'attrapant par le coude en reprenant la direction du salon.
— C'est comme d'habitude, m'assure-t-elle, sentant ma crispation. Comme on a toujours fait.
Distance. Prudence.
— Vous en avez mis du temps ! s'exclame Joshua en s'avançant vers nous, sourire aux lèvres.
— Tu nous connais, roucoule Carly, le rejoignant pour l'embrasser.
— Putain tu es glacée ! Vous êtes allées faire un tour ou quoi ?!
Tu n'as pas idée...
— Ma faute, plaidé-je dans une moue coupable. Tu sais à quel point l'air frais me fait du bien lorsque j'ai des vertiges.
— Est-ce que ça veut dire qu'il fait froid dans ma chambre, maintenant ?! s'inquiète-t-il, levant les yeux au ciel.
Si seulement !
— Ne t'inquiète pas, chéri, intervient la pétillante brune. J'ai bien refermé.
À l'idée qu'elle lui mente à cause de moi, une nouvelle bouffée d'angoisse m'envahit. Celle-ci s'accentue encore lorsque j'accroche le vert transcendant des iris du charmant – dangereux – jeune homme aux cheveux auburn, ce dernier me souriant spontanément.
Bordel. De. Dieu. Distance. Prudence. Partir.
— Bon, il se fait tard ! bafouillé-je lamentablement. Je vais y aller.
Lyly se tourne pour me faire face, m'enveloppant d'un regard compatissant que je n'ai nullement envie de quitter.
— Reste dormir ici, suggère-t-elle de toute sa bienveillance.
C'est vrai que cela m'arrive régulièrement, toutefois ce soir j'ai plutôt envie de m'enfuir pour m'éloigner de lui – Evan Northwood.
— Wyatt m'attend, éludé-je simplement, me dirigeant vers sa chambre d'amis pour récupérer mes affaires.
Lorsque je reviens après avoir enfilé mon manteau, elle croise les bras sous sa poitrine, visiblement soucieuse.
— Il est presque deux heures du matin, Tay, ça ne me plaît pas de te laisser partir seule, encore moins dans l'état où tu es.
Tu parles du quel, au juste ? Des habituels vertiges ou de la crise d'angoisse que je refoule à cause du putain de canon de cousin caché de Joshua ?
— Je vais te raccompagner, décide-t-elle.
— Ne dis pas n'importe quoi, intervient spontanément Evan. Qui te raccompagnera toi ensuite ? Je vais m'en charger, je suis un peu fatigué à cause du décalage horaire de toute façon.
Mauvaise idée !
— Je prendrai un taxi, insiste-t-elle.
Meilleure idée !
— Mon amour ? ronchonne Joshua. Puis-je invoquer le droit du fiancé lors de sa soirée de fiançailles ? Je te sais protectrice avec baby Tay, néanmoins elle sera en sécurité avec Evan et c'est sur sa route.
Mais enfin ?! Arrête !
Cependant, je m'en veux assez à cause du secret qu'elle lui dissimule pour moi, alors ne veux en aucun cas être à l'origine d'une éventuelle tension entre les deux amoureux.
— Josh a raison, Lyly, approuvé-je sans vraiment réaliser ce que je dis.
Ce sont ses yeux écarquillés qui me rappellent brusquement à l'ordre. Sa bouche s'entrouvre comme pour me dire ce n'est pas ce qu'on avait decidé, sauf que lorsque je prends la mesure de cette décision destinée à préserver mes amis, c'est trop tard. Je me suis mise en danger.
Bordel de dieu !
Ouep. T'es une idiote !
Je n'ai plus le temps de me raviser, le jeune homme ayant déjà enfilé sa veste, me tendant son bras avec sympathie – car à priori, la galanterie n'est pas morte chez tout le monde. Je l'attrape dans une fausse décontraction, forçant un rictus poli que j'espère crédible. J'ai appris à devenir une actrice plutôt dégourdie, vous savez. Par la force des choses, il a bien fallu ! Après avoir envoyé un baiser du bout de mes doigts aux adorables fiancés – ignorant l'angoisse de Carly – et aux derniers convives, nous franchissons la porte d'entrée ensemble. Une fois dans le couloir, il m'adresse ce sourire – parfait – dont il semble avoir le secret.
— Nous allons passer pas mal de temps ensemble dans les prochains mois, après tout, déclare-t-il avec bonne humeur. Profitons-en pour faire connaissance !
Oh. Mon. Dieu. Distance ! Prudence !
C'est foutu pour la distance, Taylor ! Reste focus sur la prudence s'il te plaît !
J'y compte bien !
***
Alors... je pense que rien ne se passe vraiment comme il l'avait prévu. Mais bon, en aucun cas je n'avais imaginé ma soirée ainsi non plus, après tout. Une fois dans la rue, j'ai mis une distance raisonnable entre nos corps en enfilant mes gants, puis il a dit quelques banalités. J'ai acquiescé à la plupart d'entre elles, puis le silence s'est installé. Aucunement dans le genre confortable comme dans les comédies romantiques, non. Vous avez, celui où un gars canon et une fille qui l'est autant marchent sous la neige – entourés par des guirlandes lumineuses – et que ça leur suffit pour tomber fous amoureux l'un de l'autre. Quelques semaines – jours – plus tard, il lui demandera de l'épouser pile à minuit – pour la nouvelle année – donc elle dira niaisement oui entre ses larmes de crocodile. Si le scénario nous fait le cadeau d'un bond dans le temps, au noël suivant elle aura une alliance à l'annulaire, un adorable nouveau-né dans les bras, la mine splendide, sans l'ombre d'un kilo en trop. Ouais, je sais. Eurk. Non, en ce qui me concerne c'est plutôt celui hyper angoissant d'un thriller policier, ou un mec – canon quand même – et une fille – qui l'est aussi – avancent côtes à côtes dans une ruelle aussi sombre que glaciale, sous la pluie. Peut-être est-il un putain de tueur en série et qu'il va l'éviscérer lors du plan suivant, ou bien qu'éventuellement l'héroïne cache une étrange aptitude ne devant en aucun cas tomber entre les mains du gouvernement. Sinon elle risque de ne plus jamais revoir la lumière du jour – transformée en rat de laboratoire – le garçon en question étant justement un agent secret. Voyez-vous le genre ?
Bon.
Remettons les choses dans leur contexte, maintenant. Il fait plutôt froid, néanmoins pas trop non plus. Nous sommes dans une rue bénéficiant d'un éclairage urbain satisfaisant, sous un ciel dégagé. Evan n'est clairement pas un tueur en série, donc mes intestins vont rester à leur place ce soir. Par contre... vous savez déjà qu'il est terriblement beau. Sachez que je ne suis pas mal non plus.
— Merci d'avoir pris la peine de me raccompagner, soufflé-je, tapant le digicode devant la porte d'entrée de mon immeuble en ravalant ma nervosité.
— Je t'en prie, répond-t-il avec décontraction. Salue Wyatt pour moi, il est vraiment sympa.
Pardon ? Pourquoi est-ce que... Oh ! Parfait !
— Je n'y manquerai pas, affirmé-je, me saisissant de ce malentendu bienvenu pour mettre une limite essentielle entre nous. Rentre bien, à bientôt.
— Prends soin de toi, à une prochaine fois, conclut-il en se détournant.
Je retiens mon soupir de soulagement le temps de refermer, m'adossant ensuite au mur pendant qu'il m'échappe lentement.
Distance. Prudence.
C'est bien, Taylor ! Continue ainsi !
Parce qu'au cas où vous n'aviez pas compris, je suis la fille ayant quelque chose à cacher et il est l'agent du FBI représentant la menace de mon histoire.
***